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LETTRES
tout ce que je sais, c'est qu'il ne s'avisa pas de
re–
porter les six piastres pour la faire lever. Je
crois
que vous ne le lui auriez pas conseillé.
Je v:ous ai promis , mon révérend pere , de
finir
cette lettre par le récit de quelques aventures de mon
voyage. 11
y
en a quelques-unes qui vous réjouirom;
mais elles ne me firent pas rire dans Je temps.
En partant de Trípoli,
011
me confia
a
un chef de
muletiers, nommé Soliman; et tandis que je pré–
parois mon petit bagage, on le
fit
déjell.ner. Il n'étoit
pas scrupuleux, surtout sur le vin, et comme il ne
vit aucun Turc qui put le déférer,
il
en but
a
son
aise. Cette petite gracieuseté me l'affectionna. A peine
ftl.mes-nous dans la plaine qu'il me
fit
monter sur
mon mulet, qui n'avoit ni sangle ni étriers. 11 poussa
le sien, le mien voulut aller de compagnie, et au
premier mouvement je tombai sur la tete, dans un
chemin semé de cailloux. Mon équipage suívit en
meme temps , et tomba sur moi.- Je me relevai ce–
pendant sans etre blessé, et comme j'avois perdu
mon conducteur de vue, j'appelai
a
mon secours.
Un Turc descendit de la colline voisine, il m'aida
officieusement
a
remettre la charge sur le mulet, et
apres m'avoir demandé si je n'avois point de mal
:1
il me prit entre ses bras, et me remonta s8r ma béte.
Ce petit accident me rendit sage
a
mes dépens, et
je n'allai plus que le pas. J'arrivai sur le midi aupres
d'un vieux chatean ruiné, ou devoit s'assembler la
caravane. A peine
~us-je
mis pied
a
terre, que
j'allai
a
cinquante ou soixante pas de ce chatean,
m'asseoir sur le bord d'une riviere pour
y
diner.
Mon dinú consistoit en deux ceufs durs et un peu
de fromage; mais je comptois du moins le manger
seul et tranquillement' lorsque tout-a-coup je vis
deux Arabes
a
mes cótés, qui m'en demanderent
leur part; je ne sais par oit ils étoient venus. J'eus
beau leur protester que ie n'avois pour toutes pro-