GEN
le fiffiement des vents;
i1
e(l brOlé par le foleil; il efl
effrayé des tempEtes. L'ame fe plait fouveot
d~ns
ces
affeélions momentanées ; elles lui donnent un plaitir qui
lui
e(!
précieux; elle fe livre
a
tOO! ce qui peut l'aog–
mcnter; elle voudroit par des couleurs vraies, par des
traits
ineffa~ables,
donner un corps aux phant6mes qoi
font fon ouvrage, qui la tranfporreot ou qui
l'am_uf~nt.
Veut-elle peirrdrc quclques-uns de ces ob¡ets q01 VleO–
nent l'agiter 1 tant6t les etres fe dépouillent de leurs
imperfeélions; il oe fe place dans fes tablcaux que le
fublime , l'agréable; alors le
glnit
peint en beau : tan–
tót elle ne voit daos les évenemeus les plus
tragiques
qoe les circonfiances les plus terribles;
&
le
géni<
ré–
pand daos ce moment les couleurs
les plus fombres,
les expref!ions énergiques de la plaintc
&
de
la dou–
)eur; il anime la matiere, il colore la penfée: dans la
chaleur de l'en1houfiafme, il ne difpofe ni de la nature
ni de la faite de fes idées ·.
il efl tranfporté dans la fi–
tuation des perfonnages qu'il fait agir; il a pris Icor ca–
raélere : s'il éprouve dans le plus haot degré les paf!ions
bt!ro"iqoes, telles que la cootiaoce d'une grande ame que
le fentiment de fes forces éleve au-ddJos de toot dan–
ger, telles que l'amour de la patrie porté Jufqu'a l'ou–
bli de foi-meme, il produit le fublime, le
moi
de Mé–
dée, le
'l"'il
mourllt
du vieil Horaee, le
je
{uis
con–
fu/
d<
Rome
de Brutos: tranfporré par d'autres paffions,
i1
fait dire
a
Hermione,
'lui t< /'a die?
a
Orofmane,
j'ltoil aimé;
a
T hidle
1
J~
reconnoit mon
frer~.
Cettc force de l'emhoufiafme infpire le mot propre
quand il a de l'énergie; fouveot elle le fait facrifier
a
des fi gures hardies ; elle infpire l'harmonie imitative, les
images de toote efpece, les fignes les plus fen(ibles,
&
les fons imitateurs, comme les mots qui caraélérifeot.
L'imagiuation prend des formes différemes; elle les
empruote des ditférentes qualités qui forment
le cara–
élere de !'ame. Quelques paf!ioos, la diverfité des cir–
confiances, certa1nes qualités de l'efprit, donneot un
tour particulitr a l'imaginatioo; elle ne fe rappelle pas
avec fentiment toutes fes idées, paree qu'il n'y
a
pas
toüjours des rapports entre elle
&
les
~tres .
Le
¡;éuit
n'efi pas toOjours
$¡,¡,;
quclqu<fois il e(\
plus a1mable qoe fublime; il !em
&
peiot moins dans
les objets le beau que le gracieux;
il éproove
&
fait
moios éproover des traofports qu"une douce émotion.
Quelquefois dans l'homme de
génit
l'imagioation
el!
gaie; elle s'occupe des legeres imperfeélions des hom–
mes, des fautes
&
des folies ordinaires;
le cootraire
de l'ordre n'e(l pour elle que ridicule, mais d'uoe ma–
niere fi nouvelle, qu'il
femble que ce
foit le coop–
d'ceil de l'homme de
gini•
qui ait mis dans l'ob¡ct le
ridicule qo'il ne fait qu'y décoovrir: l'imagination gaie
d'un
gini<
étendo, aggraodit le champ do ridicule;
&
tandis que le vulgaire le voit
&
le fent dans ce qui
choque les
ufa~es
établis, le
glni•
le découvre
&
le
fent dans ce qui bletTe l'ordre univerfel.
L e goOt efl fouveot féparé du
f!.tni<.
Le
g¿nit
efi
un pur don de la natore ; ce qu'il produit efl l'ouvra–
ge d'uo moment; le goOt efi l'ouvrage de l'étode
&
du tems; il
tient
ii
la
connoitT~nce
d'une multitudc de
regles ou établies oo fuppofées; il
fait produire des
beautés qui ne font que de convention. Poor qu'une
chofe foit belle felon les regles du goOt, il faut qu'elle
foit élégaote, fioie,
travaillée fans
le paroitre: poor
étre de
~ini<
il faut quelquefois qu'elle foit négligée,
qu'elle a1t l'air irrégulier
efearpé, fauvage. Le fo bli–
me
&
le
gini•
brillent
d~ns
Shakefpear comme des é–
clairs dans une !on¡;oe nuit,
&
Racine efl toO¡ours beau:
Homere efl plem de
glnit,
&
Virgile d'élégaoce.
Les regle:
~ l~s
lois
d~
gout dooneroiem des en·
naves au
g<n~<;
11
les br1fe pour volee au fublime,
au parhétiqoe, ao grand . L'amoor de ce beao étern<l
qui cnraélérife la nature; la paffion de conformer fes
tableaui
a
¡e ne fais que! modele qu'il a créé,
&
d'a–
pres lequel
il
a
les iMes
&
les fentimens du beau, font
le gofn de l'homme de
gini<.
Le befoin d'exprimer
les paf!ions qui l'agitent, efl contiooellement geoé par
la Grammaire
&
par l'ufage: fouvent
l'idiome dans
l.equcl il écrit fe refofe
a
l'elpreffioo d'uoe image qui
feroit fublime daos un autre idiome. Homerc ne poo–
voit trouver daos un feo! dialeéle les expreflions né–
ceffaires
2
fon
glni•;
Milton viole
a
chaque infiaot
les regles de fa
lan~ue,
&
va chercher des elpreffions
éoergiques dans tro1s oo quatre idiomes différens . En–
fin la force
&
l'aboodance, ¡e oe fais quelle rude(Je
l'irrégolarité, le foblime, le pathétique, voiU dans le;
arts le caraélere do génir;
il
oe tooche pas foiblemeot,
GEN
il ne plalt pas fans étonner,
il
étoone encore par fes
fautes.
Dans la Phi!ofophie, o
u
il
faot
peut-~tre
tol1¡ours
une attention fcrupuleufe, une timidité, une hsbitode
de réftexion qui ne s'accordent gu<re avec la chaleor
de l'imagination,
&
moins encare avec
la confiance
que donne le
géni<,
fa marche eft diflingoée comme
dans les
am ;
il
y
répand fréquemment de brillantes
erreurs; il y a quelquefois de grauds fuece . 11 faor
daus
la Philofophie cherch<r
le vrai avec ardeur
&
l'efpérer avec patience. 11 faut des hnmmes qui puiffent
difpofer de l'ordre
&
de la faite de leurs idées en fui–
vre
la cha\ne pour conclure , ou l'interrompre pour
douter:
il
faot de la recherche, de la difeo f!ion, de
la
lemeur,
&
on n'a ces qualités ni daos
le tumulte des
paf!ioos, oi avec les
fougues de l'imagioat,ou. Elles
font le p•rtage de l'efprit étendu, maitre de loi- meme;
qui ne
re~oit
point une perceptioo fans la comparer a–
vec une perception; qui cherche ce que divers ob¡ets ont
de commun
&
ce que les diflingue eotre eux; qoi poor
rapprocher des idées éloignécs, fait parcourir pas-a-pas
un long intervalle; qui pour failir les Jiaifons fingulieres,
délicates, fogitivcs de quelques idéts voifioes , ou leur
oppofitioo
&
leur cootrafie, fait
tirer un ObJet pani–
culier de la foule des objets de mt'!me efpece ou d'e–
fpece dífféreote, pofer le microfcope for un point im–
perceptible ;
&
ne croit avoir bien vn qu'aprc; avoir
regardé loog-tems. Ce foot ces hommes qoi voot d"ob–
fervations en ObfervationS
a
de JOfles COOféqueoces,
&
ne trouvent que des analogies uatorelles: la curiolité
efl leur mobile; l'amour du vrai efi leur paf!ion; le de–
fir de le découvrir eft en eux une volonté permanente
qui les anime fans
les échauffer,
&
qui conduit leur
marche que l'expérience doit af;Orer.
Le
glnie
efl frappé de toot;
&
des qo' il n' eft point
livré
a
fes penfées
&
fubjugué par l'enthoofiafme,
il
étodie, pour ainfi dire, fans s'en appercevoir; il efl for–
cé par les impreflions que les ob¡ets font
fur
lui,
~
s'eurichir fans celfe de connoiffances qui ne lui oot
rien coOté; il jerre fur la nature des coups·d'reil gé–
nérau r
&
perce fes abimes. 11 recue illc dans fon fe in
des germes qui y eotreot
im perceptiblel)"leU t ,
&
qoi
prodoifeot daos le rems des cffets li
furprenaos, qu'il
efl lui-m€me tenté de fe croire iofpiré: il a pounanc
le goO t de l'obfervatioo; mais
il oblerve rapidement
un grand efpace, une multitude d'e tres .
L e mouvement , qui efi fon état naturel, eft quel–
quefois
li doox
qu'~
peine
il
l'apper~oit:
mais le plus
foovent ce mouvement excite des
temp~tes
,
&.
le
gé–
,;,
eft pl0t6t emporté par un torrent d'idées, qo'il ne
foit librement de tranqoilles réftexions. D aus l'humme
que l'imagination domine, les idées fe lient par les cir–
conflances
&
par
!~
feutiment: il ne voir fouvem des
idé"es abflraites que dans leur rappor!
avec
les idées feo–
fibles.
JI
donne aux abfiraélions uoc exifteoce indépen–
dante de l'efprit qui les a faites ; il
réalife fes
fantó–
mes, fon enthou(iafme augmente au fpeélacle de fes
créations, c'efi-a-dire de fes nouvelles combinaifons ,
feules créations de l'homme: emporté par la foole de
fes penfées, livré
a
13
facilité de les combiner, forcé
de prodoire, il
trouve mille preuves fpécieufes,
&
ne
peut s'afsOrer d'une feule; il conflruit des éditices har–
dis que la raifon n'oferoit habiter,
&
qui
lui plaifent
par leurs proportions
&
non par leu r folidité; il admire
fesfyfli:mes comme il admireroit le plan d"un poeme:
&
d
les adopte comme beaux, en croyaot les aimer
comme vrais.
Le vrai ou le faux dans les produélioos philofophi–
ques, ne font point les caraéleres diflinélifs do
génie.
11 y a bien peo d'erreurs dans Locke
&
trop peu
de vérités daos milord Shafflerbury : le premier cepen–
dant n'efl qo'un efprit ércndo, pénétranr,
&
JUfle ·
&
le fecond eft un
génir
do premier ordre. Locke a 'va ·
Shafrlerbury a créé, conllruit, édifié: nous devons
~
L ocke de grandes vérité"s froidement
apper~Qes
mé–
thodiquement fuiv ies, féchement annoncées ·
&
¡' Shaf–
flerbury des fyllcmes brillans fouvcnt peu
fo~dés
pleios
poumnt de vérités foblimes;
&
daos fes
mome~s
d'er–
reur, il plait
&
perfuade encore par les charroes de fon
éloquence.
Le
g(nie
hate cependant les progrcs de
la Philofo–
phie par les décoovenes
ks
plus heureofes
&
les moios
atteodues;
il
s'éleve d'oo vol d'aigle vers uoe verité
lomineufe, foorce de mille vérités aoxqoelles parvien–
dra daos la fUitc
~o
rampaot la foule timide des fages
obfervateors. Ma1s
a
c6té de ceue vérité lnmincofe
il
placeta les ouvrages de fon imagination: incap•ble
d~
mar-