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I

AVE

l'Il~me

clairvoyant, doit la trouver l¡ien .fubtile

&

bien

furprenante . " DeCcartes,

a'Veugle

oé, dit ootre auteur

t

, auroit dt1, ce me femble, s'en appl¡lUdir. Eo effet,

" quelle tioe/fe d'idées o'a-t-il ¡ias fallu pour y parve–

:, oir? Notre

aveugle

o'a de connoi/fance que par le

" toucher;

iI

Cait Cur le rapport des autres hommes , que

par le moyen de la vt1e on conoolt les objets, com–

" me ils

lu~

lont COl,1I1US par le toucher, du moios c'ea

" la Ceule ootion qu'¡¡ pui/fe s'en fo rmer; il fait de plus

" qu'on ne peut voir fon propre vifage, quoiqu'on pnif–

" fe le roucher. La vt1e, doit-il conclurre, elt done

" une eepece de toucher qui ne s'étend que fur les ob.

" jets di/rerens de nOtre viCage

&

éloignés de nous.

" D 'ailleurs le toucher ne lui donne l'idée que du re–

l>

Iief. D onc, ajot1te-t-i1 , un miroir ea une machine

" qui nous met en relief hors de nous-memes". Re–

marquez bien que ces mots

en relie!

ne font pas de

trop . Si

['"veugle

avoit dit fimplement,

I'0UJ met .horJ

de 1'. 1tJ-mémeJ,

iI

auroit dit une abfurdité <le plus: car

comment concevoir une machine qui puifie doubler un

objet? le mor, de

relie!

ne s'applique qu'a la furface;

l!in/i

nota me:tr, '" relief horJ de nouJ-mémn,

c'ea

mettre feulement la repréfentarion de la furface de no–

rre corps hors de nous.

L'

avcugle

a dt1 fenrir par le

raiConnement, que le toucher ne lui ' repréCente que la

furface des corps;

&

qu'ainfi cette efpece de toucher

qu'on appelle

v ,ie,

ne donne l'iMe que du

relief

ou

de la furface des corps, fans donner celle de leur foli–

dité, le mot de

re/ief

ne défignant ici que la furface.

J'avoüc que la délignation de

I'"veugle,

meme avec

cette reflriaion, ell encore une énigme pour lui : inais

du moins on voit qu'il a cherché

a

diminuer I'énigme

le plus qu'il étoit poffible .

On juge bien que tous les phénorncnes des mlrOlrs

&

des verres qui groffi(jent ou ¡liminueot, ou multi–

plient les objets, [onr des myfleres impénétrabJes pour

lui. " 11 demanda

li

la machine qui groffit les objets

" étoit plus courte que celle qui les rapetiile; fi ccl–

" le qui les rapproche étoic plus courte que eelle qui

" les éloigne;

&

ne eomprenam poine commem cet

" autre ¡nons-memes, que felon lui, le miroir repete

" en relief, échaPpe au fens du toucher: voila, difoit–

" il, deux fens qu'une petite machine met en contra–

" diaion; une machine plus pa¡fllite les mettroit peut–

"

~tre

d'accord; peut-étre une troilieme plus parfaite

" encore

&

moins perlide, les feroit difparoitre

&

nous

" avertiroit de ['erreur". Quelles conclufions philofo–

phiques un

aveug/c ni

ne peut·¡¡ pas tirer de

Iii

contre

le témoignage des fens?

1I

défi lJit les yeux, un organe fur lequel l'air fait

l'effct d'uo biton Cur la main. L'autenr remarque que

cene détinirior. efl a/fez femblable

a

eelle de Defear–

tes, qui dans fa

Dioptri'lue

compare

I'<eil

a

un

aveu–

g/e

qui touche les corps de loiu avec fon bhon : les

rayons de la. lumiere fOn! le

b~ton

des e1air-voyans .

11

a la mémoire des fons

a

un

degr~

furprenan!,

&

la

diverlité des voix le frappe autant que eeHe que nous

obfervons dans les vifages.

L e fecours qu'il tire de fes amres fens,

&

l'ufage

fingulier qu'¡¡ en fait au point d'étonner ceux qui I'en–

vironnent, le rend

alfe~

indifférent fur la privatioo de

la vue .

11

fen! qu'il a

a

d'autre égards des avantages

fur ceux qui voyent;

&

au lieú d'avoir. des yeux, il dit

qu'il aimeroit bien autaO[ avoir de plus longs bras,

,'i!

en éroit le maltre.

'

Ce!

aVe1lgle

adre/fe au bruit

&

a

la voix tres-fdre–

Jl¡ent:

iI

e(\ime la proximit6 du feu au degré de la

chaleur, la plénitude des vailfeaux au bruit que font

en tombant les liqueurs qu'il trallfvaCe,

&

le voifina–

ge des corps

ii

l'aaion de l'air

Cur

fon vifage: il di–

fl ingue une rue d'un cul-de-fac; ce qui prouve bien que

l'air n'efl jamais ¡>our lui dans un parfait répos,

&

que

fon v,iCage re/fent jufqu'aux moindres viciffitudes de l'at–

mofphere.

II

appré,cíe

a

merveille le poids des corps

&

les capacités des vai/feaux;

&

il s'efl fait de fes bras des

balances fort jufles,

&

de fes doigts des compas pref–

que infaillibles. Le poli des corps n'a guere moins de

nuances pour lui, que le fon

~~

la voix: il juge de Ja

beauté par le toucher;

&

ce qu

11

y a de fingulier, c'efl

qu'il fait emrer dans ce jugement la prononciation

&

le fon de la voix .

11

fait de petits ouvrages au tour

&

iI

l'aiguille, il nivelle

~

l'équerre, ii monte

&

d6-

monte les machines ordinaires: il exécute Utl morceau

de mu/iquc, dont on lui dit les notes

&

les valeurs;

il

ellime avec beaucoup plus de précifion que nous la du–

rée du tems, par la fucceffion des aaions

4

des pen–

fées .

AVE

Son averlion pour le vol efl prodigienfe, Caos dou–

~e

ii

caufe de la difficulté qu'i1 a de s'appercevoir quaod

on le voJe : il a peu d'idée de la pudeur, ne regarde

les habits que comme proprcs

a

garantir des injures de

l'air,

&

De oomprend pas pourquoi on couvre pldt6t

certaines parties du corps que d'aulres. Diogene, dit I'au–

teur que nous abrégeollS, n'auroit poiot été pour notee

av,uglp

un phUofophe . Enfin les appareoces extérieu–

res du fafl/! qui frappeD! fi fort les autres hommes, ne

lui en impofent en aucune maniere. Cet avantage n'eft

pa~

ii

méprifer.

N ous palfoos Cous filence un grand nombre de ré–

flex iolls fort fubtiles, que fait l'auteur de la leure, pour

en venir

a

ce qu'il dit d'uo autre

av,ugle

tres-célebre:

c'efl le romeux Saunderfon, profe/feur de Mathémati–

que

á

Cambrid~c

en Angleterre, mort il y a

quelque~

années . La peme vérole lui fit perdre la vt1e des la

plus tendre enfance, au point qu'i1 ne fe fouvenoit point

d'avoir jamais vt1,

&

n'avoit pas plus d'id6es de la.

lumiere qU'Ull

aveugle nI.

Malgré cette privation,

il

fit des progres

¡¡

Curprenans daos les Mathématiques.

qu'o.n lui donna la chaire de profe/feur de ces

fcience~

dans I'univcrlité de Cambridge. Ses

le~oos

étoient d'u–

ne c1arté extreme. En effet

iI

parloit

¡¡

fes éleves com–

me s'ils eurrent étc! privés de la vue. Or un

a'Veugle

qui s'exprime clairement pour des

a'VeugltJ,

doit ga–

gner beaucoup avec des geus qui voyent . Voici com–

mem ¡¡ faifpit les ca1culs,

&

les enfeignoit

a

fes difci-

pies.

.

lmaginez un quarré de bois

(PI.

aritb.

&

alglhru{.

fig .

14·)

divifé par des ligoes perpendiculaires en quatre

autres petits quarrés;

[uppoCe~

ce quarr6 percé de neuf

trous, capables de recevoit des épingles de la meme

10llgueur

&

de la meme grofieur, mais dOD! les unes

ayeO[ la tete plus gro/fe que les autres.

Saunder[on avoit un grand nombre de ces petits quar–

rés, tracés fur une grande table. Pour déGgner le chif–

fre o, il meuoit une épiogle a gro/fe

t~te

au centre d'ull

de ces quarrés,

&

rien daos les autres trous. (

Voye::.

fig.

r

f.)

Pour défigner le nombre

1,

il met[Oit une

épingle apetite téte au centre d'un perit quarré. Pour

défigoer le nombre

~,

il mettoit une épingle

a

gro/fe

tfte an centre,

&

au-de/fus dans la meme ligne, u,!e

petite épingle dans 'Ie trou correfpoodant.

P~ur

déll–

gner

3,

la gro/fe épin¡¡le au centre

.5<

.la

peme dans

le treu au-d-e/fus

a

drOICe'

&

ainft

de fU1te, comme

011

voit

fit.

If.o.ii

les gros points noirs marquent les groC–

fes épmgles

.5<

les petits, les petites épinglos. Ainli

Saunderfon

~n

mettant le doigt fur un petit quarré,

voyoir tout d'un coup le nombre qu'i! repréfentoit;

&

en jettane les yeux fur la

fig.

16.

on trouvera com–

mene

il

faifoit fes additions par le moyen de ces petits

quarrés. Cette

figtjr~

16.

repréCeme I'addition fuivante ..

2-

3

4

f

2-

3

4

f

6

3

4

f

6

7

4-

f

6

7

8

f

6

7

8

9

6

7

8

9

o.

7

8

9

el

8

9

o

2-

9

o.

2-

3

En pa/fant fucceffi vement les doigts fur chaque ran–

gée verticale de haut en bas,

il

faifoit l'addition

a

la–

maniere ordinaire,

&

marquoit le réfultat par des épin–

gles miCe, daos de petits quarrés au bas des nombres

{ufdits.

Cette meme table remplie de petits quarrés, lui fer–

voit

a

faire des démonflrations de Géométrie .

11

di–

fpofoit les groífes épiogles dans les trous, de maoiere

qu'elles avoient la direaion d'nne ligne droite, ou qu'

elles formoienr un polygone,

&c.

Saunderfon

a

encore lai/fé quelques machines qui luí

facilitoient l'étude de la Géométrie: mais on ignore l'u–

fage qu'i! en faifoit.

11

nous a donné des élémens d'Algebre, auxquels

00

n'a rien publi6 de fupérieur dans cette matiere: mais

t

comme l'obferve l'auteur, des élémens de Géométrie

de fa fac;on auroienr encore été plus curieux . Je fai d'u–

ne perfonne qui I'a connu, que les démooflrations des

proprié'tés des folides qui cot1teO[ ordioairemeot tan! dé

pel-