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XXJ)

DISCOURS PRELIMINAIRE

tervalle d'ignorance que des Jiecles de lumiere avoient précédé, la régénération

des idées,

Ji

on peut parler ainli, a du néceffairement etre diflerente de leut"

génération primitive. Nous allons tacher de le faire fentír .

Les chefs-d'ceuvre que les Anciens nouS avoient laiílés dans prefque tous les

genres, avoient été oubliés pendant douze {jedes. Les principes des Seiences

&

des Arts étoient perdus, parce que le beau

&

la vrai qui femblent fe montrer

de toutes parts aux hommes, ne les frappent guere a moins qu'ils n'en foi ent

avertis. Ce n'eU pas que ces tems malheureux ayent été plus ffériles que d'au–

tres en génies rares ; la nature eU toujours la méme: mais que pouvoient faire

ces grands homtnes , fetnés de loin

a

loin comme ils le fout touJours, occupés

d 'objets diflérens ,

&

aDandonnés fan s cuJture

a

leurs feules lumieres. Les idées

qu 'on acquiert par la leaure

&

la fociété , font le germe de prefque toutes les

découverres . C'eU un air qne l'on refpire fans y penfer,

&

auquel on doit la

vie;

&

les hommes dont nous

par1on~

étoient privés d'un tel fecours: lIs reffem–

bloient aux premiers créateurs des Sciences

&

des Arts, que leurs illuUres fuc–

ceffeurs ont fait oublier,

&

qui précédés par ceux-ci les auroient fait oublier de

meme. Ce1ui qui trouva le premier les roues

&

les -pignons, ellt inventé les

montres dans un autre Jiede;

&

Gerbert placé au tems d'Archimede I'auroit

peut-etl'e égalé .

Cependant la plupart des beaux Efprits de ces tems ténébreux fe faifoient ap–

peller Poetes ou PbIlofophes. Que leur en coutoit-il en effet pour ufurper deux

titres dont on fe pare a

Ji

peu de frais,

&

<Jn'on fe fIate touJours de ne guere

devoir

a

des lumieres empruntées? Ils croYOlenr qn'il étoit inurile de chercher

des modeles de la Poé{je dans les Ouvrages des Grecs

&

des Romains dont la

Langue ne fe parloit plus;

&

ils

prenoient pour la véritable Philofophie des An–

ciens une tradition barbare qui la défiguroit . La Poéúe fe réduifoit pour eux

a

un méchanifme puéríl: I'examen approfondi de la nature,

&

la

grande émde de

l'homme, étoient remplacés par mille

ql~eíl:ions

frivoles fur des etres abUraits

&

métaphyfiques; quefiíons dont la folution, bonne ou mauvaife, demandoit fou–

vent beaucoup de fubtilité,

&

par conféquent un grand abus de l'efprit. Qu'on

joigne

a

ce défordre l'état d'efdavage oll prefque toute rEurope étoit plongée,

les ravages de la fuperfiítion qui nalt de l'ignorance,

&

qui la reproduit ¡\ fon

tour:

&

l'on 'verra que ríen ne manquoit aux obUacles qui éloignoient le retour

de la raifon

&

du gont, car il n'y a que la liberté d'agir

&

de penfer

qui

foit

capable de produire de grandes chofes ,

&

elle n'a befoin que de lumieres pour

fe préferver des exces.

Auffi fallut-il au genre humain, pour fortír de la barbarie, une de ces révo–

Iutions qui font prendre

a

la terre une face nouvelle: l'Empire Grec eíl: détruit,

fa ruine fait refIuer en Eurape le peu de connoíffances qui reIl:oíent encore au

monde: l'invention de l'lmprimerie, la protetlion de Medicis

&

de

F

ran~ois

1.

raniment les efprits;

&

la lumiere rena'it de toutes parts .

'

L'étude des Langues

&

de I'HiIl:oire abandonnée par néceffité durant les (je–

eles d'ignorance, fut la premiere

a

laquelle on fe livra. L 'efprit humain fe trou–

yoit, au forrir de la barbarie, dans une efpece d'enfance, avide d'accumuler des

ldées,

&

incapable pourtant d'en acqué rir d'abord

un

cerrain ordre par l'efpece

d'engourdiffement ou les facultés de l'ame avoieut été

fi

long-tems. De toures

ces facultés, la mémoire fut celle que l'on cultiva d 'abord, parce qu'elle eU la

plus fadle

a

fati sfaire,

&

que les connoiffances qu'on obtient par fon fecolirs ,

font celles qui peuvent le plus aifément etre eutillees. On ne

commen~a

donc

point par étudier la Nature, ainfi que les premiers hommes avoi ent-du faire ; on

Joüiffoit d 'un fecours dont ils étoient dépourvus, celui des Ouvrages des P,..nciens,

que la génér.olité des Grands

&

l'Impreffion

commen~oient

a

rendre communs :

on croyoit n'avoir qu'a lire pour devenir favant;

&

iI eU

bien

plus aifé de lire

que de voir. Ainfi, on dévora fans diUinaion tout ce que les Anciens nous ' a–

voient laiíré dans chaque genre: on les traduifit, on les commenta;

&

par une

efpece de reconnoiírance on fe mit

a

les adorer fans connoltre

a

beaucoup pres

ce qu'ils valoient.

De-la cette foule d'Erudits, pi'ofonds dans les Langues favantes jufqu'¡\' dédai–

gner la leur, qui, comme I'a dit un Auteur célebre, connoiffoient tout dans les

Anciens, hors la grace

&

la fineífe,

&

qu'un vain étalage d'érudition rendoit

ft

orgueilleux, parce que les avantages qui coutent le moins font affez fouvent ceux

dont on aime le plus

a

f~

parer . C 'étoit une efpece de grands SeignelU's ) qui

fans reírembler par le mérite réel

a

ceux dout ils tenoient la vie, tiroient beau-

coup