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DISCOURS PRELIMINAIRE
tervalle d'ignorance que des Jiecles de lumiere avoient précédé, la régénération
des idées,
Ji
on peut parler ainli, a du néceffairement etre diflerente de leut"
génération primitive. Nous allons tacher de le faire fentír .
Les chefs-d'ceuvre que les Anciens nouS avoient laiílés dans prefque tous les
genres, avoient été oubliés pendant douze {jedes. Les principes des Seiences
&
des Arts étoient perdus, parce que le beau
&
la vrai qui femblent fe montrer
de toutes parts aux hommes, ne les frappent guere a moins qu'ils n'en foi ent
avertis. Ce n'eU pas que ces tems malheureux ayent été plus ffériles que d'au–
tres en génies rares ; la nature eU toujours la méme: mais que pouvoient faire
ces grands homtnes , fetnés de loin
a
loin comme ils le fout touJours, occupés
d 'objets diflérens ,
&
aDandonnés fan s cuJture
a
leurs feules lumieres. Les idées
qu 'on acquiert par la leaure
&
la fociété , font le germe de prefque toutes les
découverres . C'eU un air qne l'on refpire fans y penfer,
&
auquel on doit la
vie;
&
les hommes dont nous
par1on~
étoient privés d'un tel fecours: lIs reffem–
bloient aux premiers créateurs des Sciences
&
des Arts, que leurs illuUres fuc–
ceffeurs ont fait oublier,
&
qui précédés par ceux-ci les auroient fait oublier de
meme. Ce1ui qui trouva le premier les roues
&
les -pignons, ellt inventé les
montres dans un autre Jiede;
&
Gerbert placé au tems d'Archimede I'auroit
peut-etl'e égalé .
Cependant la plupart des beaux Efprits de ces tems ténébreux fe faifoient ap–
peller Poetes ou PbIlofophes. Que leur en coutoit-il en effet pour ufurper deux
titres dont on fe pare a
Ji
peu de frais,
&
<Jn'on fe fIate touJours de ne guere
devoir
a
des lumieres empruntées? Ils croYOlenr qn'il étoit inurile de chercher
des modeles de la Poé{je dans les Ouvrages des Grecs
&
des Romains dont la
Langue ne fe parloit plus;
&
ils
prenoient pour la véritable Philofophie des An–
ciens une tradition barbare qui la défiguroit . La Poéúe fe réduifoit pour eux
a
un méchanifme puéríl: I'examen approfondi de la nature,
&
la
grande émde de
l'homme, étoient remplacés par mille
ql~eíl:ions
frivoles fur des etres abUraits
&
métaphyfiques; quefiíons dont la folution, bonne ou mauvaife, demandoit fou–
vent beaucoup de fubtilité,
&
par conféquent un grand abus de l'efprit. Qu'on
joigne
a
ce défordre l'état d'efdavage oll prefque toute rEurope étoit plongée,
les ravages de la fuperfiítion qui nalt de l'ignorance,
&
qui la reproduit ¡\ fon
tour:
&
l'on 'verra que ríen ne manquoit aux obUacles qui éloignoient le retour
de la raifon
&
du gont, car il n'y a que la liberté d'agir
&
de penfer
qui
foit
capable de produire de grandes chofes ,
&
elle n'a befoin que de lumieres pour
fe préferver des exces.
Auffi fallut-il au genre humain, pour fortír de la barbarie, une de ces révo–
Iutions qui font prendre
a
la terre une face nouvelle: l'Empire Grec eíl: détruit,
fa ruine fait refIuer en Eurape le peu de connoíffances qui reIl:oíent encore au
monde: l'invention de l'lmprimerie, la protetlion de Medicis
&
de
F
ran~ois
1.
raniment les efprits;
&
la lumiere rena'it de toutes parts .
'
L'étude des Langues
&
de I'HiIl:oire abandonnée par néceffité durant les (je–
eles d'ignorance, fut la premiere
a
laquelle on fe livra. L 'efprit humain fe trou–
yoit, au forrir de la barbarie, dans une efpece d'enfance, avide d'accumuler des
ldées,
&
incapable pourtant d'en acqué rir d'abord
un
cerrain ordre par l'efpece
d'engourdiffement ou les facultés de l'ame avoieut été
fi
long-tems. De toures
ces facultés, la mémoire fut celle que l'on cultiva d 'abord, parce qu'elle eU la
plus fadle
a
fati sfaire,
&
que les connoiffances qu'on obtient par fon fecolirs ,
font celles qui peuvent le plus aifément etre eutillees. On ne
commen~a
donc
point par étudier la Nature, ainfi que les premiers hommes avoi ent-du faire ; on
Joüiffoit d 'un fecours dont ils étoient dépourvus, celui des Ouvrages des P,..nciens,
que la génér.olité des Grands
&
l'Impreffion
commen~oient
a
rendre communs :
on croyoit n'avoir qu'a lire pour devenir favant;
&
iI eU
bien
plus aifé de lire
que de voir. Ainfi, on dévora fans diUinaion tout ce que les Anciens nous ' a–
voient laiíré dans chaque genre: on les traduifit, on les commenta;
&
par une
efpece de reconnoiírance on fe mit
a
les adorer fans connoltre
a
beaucoup pres
ce qu'ils valoient.
De-la cette foule d'Erudits, pi'ofonds dans les Langues favantes jufqu'¡\' dédai–
gner la leur, qui, comme I'a dit un Auteur célebre, connoiffoient tout dans les
Anciens, hors la grace
&
la fineífe,
&
qu'un vain étalage d'érudition rendoit
ft
orgueilleux, parce que les avantages qui coutent le moins font affez fouvent ceux
dont on aime le plus
a
f~
parer . C 'étoit une efpece de grands SeignelU's ) qui
fans reírembler par le mérite réel
a
ceux dout ils tenoient la vie, tiroient beau-
coup