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peu-a-peu. Les Iangues, né'es
avec~
les foéiétés, n'ont fans doute été d'abord
qu'une coUeaion aífez bifal're de fignes de toute efpece,
&
le. corps naturels
qui tombent fous nos fens ont été en conféquence les premiers objets que 1'on
~it
défignés par des noms. Mais aurant qu'il efr permis d'en juger, les langues
dans cette premiere origine, deilinées U'ufage le plus preífant, ont dti etre fort
imparfaites, peu abondantes, & affujetties
a
bien peu de principes certains;
&
les Arts ou les Sciences abfolument néceíf1\ires pouvoient avoir fút beaucoup de
progl'es, lorfque les regles de la díaion
&
du fryle étoient encore
a
nalrre, La
communicarion des idées ne fouffroit pourtant guere de ce défaut de regles, &
meme de la difetre de roors; ou plútót elle n'en fouflroÍt qu'autant qu'il étoit
néceffaire pour obliger chacun des hommes
a
augmenter fes propres
conl1oiffan~
ces par un travail opiníatre, fans trop fe repofer fur les atjtres. Une
commu~
nic'fltion trop facile peut tenir quelquefois 1'ame engourdie, & nuÍre aux efforrs
dont elle feroit Cilpable. Qu'on jette les yeux fur les prodiges des aveugles nés,
& des fourds
&
muets de ,naíffance; on verra ce que fleuvent produire les
ref~,
forts de l'efpr-it, poul' peu ql1'ils foient vífs
&
mis en aéUon par les difficultés
a
vaincre.
' .
Cependant la facilité de rendre & de recevoir des ¡dées par un commerce mu·
tuel, ayant auffi de fOil cóté des aVantages incontefrables,
il
n'efr pas furprenant
que les hommes ayent cherché
de
plus en plus
a
augmenter cette facilité . Pour
cela, lis ont comt'nencé par réduire les fignes aux mots, parce qu'ils font, pour
ainfi dire, les fymboles que 1'on a
le
plus aifément fous la main. De plus, 1'Oh
dre de la génération des mQts a fuivi 1'ordre des opérations de 1'efprit: apres les
individus on a nommé les qualités fenfibles, qui, fans exifrer par
elles~memes, exi~
:frent dans ces individus,
&
font communes
a
plufieurs': peu-a-peu 1'on efr en–
fin venu
a
ces termes abfrraits , dont les uns
fel'ven~
a liel' enfemble les idées,
d'autres
a
défigner les propriétés géné1eles des corps, d'autres
a
exprimer de s
notions purement fpirituelles. Tous ces termes que les enfans font
fi
long-teros
.a
appl'endre, ont cOllté fans doute encore plus de tems
a
trouver. Enfin, rédui–
fant l'ufage des mots en préceptes, on a formé la Grammaire, que 1'on peut re.,.
garder comme une des branches de la Logique. Eclairée par une Métaphyfiql:le
tine & déliée, elle démele les nuances des idées, apprend
a
difringuer ces nuan–
ces par des fignes différens, donne des regles pOUl' faire de ces fignes 1'ufage le
plus avantageux, découvre fouvent par cet efprit philofophique qui remonte
a
la
[puree de tout, les raifons du cfloix bifarre en apparence, qui fait préférer un
.figne
a
un autre,
&
ne laiffe enfin
a
ce caprice national qu'on appelle ufage, que
ce qu'elle ne peut abfolument lui óter.
Les hommes en fe eommuniquant leurs idées, cherchent .auffi
a
fe
communi~
quer leurs paffions. C'eíl: par 1'éloquence qu'ils y parviennent. Faite pour parler
au fentiment, comme la Logic¡ue & la
Gra~maire
parlent
a
l'efprit, elle ímpo.
fe filence
a
la raifon meme : & les prodiges qu'elle opere fouvent entre les mains
d'un Jeul ful' toure une Nation, fom peut.,etre le témoignage le plus éclatallt de
,la fup.ériorité d'un homme
fl.lrun autre . Ce qu'il
y
a de fingulier, c'eíl: qu'on
ait cru fuppléer par des regles
a
un talent
fi
rare. C'
e.íl:a-peu-pres comme fi on
eut voul¡¡ rédl.lire
le
génie en préceptes, Celui qui
a:
prétendu le premie!' qu'on
devoit les Qrateurs
a
1'art, ou
n'é~oit
pas du nombre, 'ou étoit bien ingrat
en~
vers la Nature. Elle feule peut eréel' un ,hommo éloquent; ¡es hommes font
le premier livre qu'il doive étudier pour rénffir, les grands modeles font le fe–
cond;
&
tout ce que ces Ecrivains illuf!;¡;es nous ont laiffé de philofophique
&
de réfléchi fur le talent de 1'Orateur, ne prouve que la difficulté de leur
ref~
fembler . Trop éclairé. pour prétendre ouvrir la carrj.ére, ils ne vouloÍlmt fans
doute qu'en marquer les écueils. A l'ég!lrd de ces puérilités pédantefques qu'on
.a hQnorées du nom de Rhétorique, ou pllltót qui n'ont fervi qu'a rendre ce, nom
ridioule, & qui font
a
1'art oratoíre
Ce
que.laScholaHique
efl;
a
la vraie Philo..
fophie, elles ne font propres qu'a donner <le 1'éloquence 1'iMe la plus fauf[e
&
la
plus barbare . Cependant quoi<lu'on connoiffe affez univerfellemenr
a
en reconnoltre
l'abus, la poffeffion ou elles 10nt
dep~s
10ngTtems de former une branche dillin,.
guée de la connoiffance humaine
~
ne
perme~ pa~
encore de les en bannir: pour
l'honneur de nótre difcernement, le tems en viendra peut-etre un jour .
Ce n'efr pas aífez pour nous de vivre
~Ve<;
nos conremporains,
&
de les do–
ll'~i~er
. .(\.nimés
par.lacuri?Jité
~
par l'amour-propre" &
<;her<;~nt
par une avi–
aite naturelle
a
embraffer a la fOlS le paffG, le préJent
&
l'avelllr, J;lons defu'oQs
,¡;:n meme tems de vivre :}veC ceux qtti nous fuivront, & d'avoir vecl¡. avec ceuj\
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B~
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