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LIVllE
QUARANTF.-TROISll\~IE.
batcaux, cut ordrc de jctcr lrois ponls avec le
concours de la division Morand, la premicrc du
maréehal Davoust.
Aonze heures du soir en cffct, le23 juin 1812,
les voliigcurs de
In
division Morand se jclcrcnt
dans quclques barques, travcrserent Je Niémcn,
largc en cct cndroit de soixantc
a
quatrc-vingts
toiscs, prircnt posscssion sans coup férir de Ja
rive droile, et aidcrcnt les pontonnicrs a fixcr
les amarres auxqucllcs devaicnt ctrc atlachés les
bateaux. A la fin tle Ja nuit, trois ponts, silués
a
cent toises l'un de l'autrc, se trouvCrcnL solidc–
ment établis, et lacavalcrie légcre put passer sur
l'aulre bord.
Le 24 juin au matin, ce
qui,
dans ce pays et
en cctte saison, pouvait sigoifier trois hcurcs, le
soleil se leva radicux, et vint éclaircr de ses
feux .une scCnc magnifique. On avait lu nux
troupes, qui étaicnt pleincs d'ardcur, une p1·0·
clamation courlc et énergique,
eon~uc
dans les
termes suivants :
1i
Soldats, la sccondc gucrrc de Po1ognc cst
11
commcncéc. La prcmiCrc s'cst tcrminéc
a
" Fricdland et a Tilsit!,,, A Tilsit,
In
Uussic a
" juré une élcrnelle alliancc
a
Ja France et la
u
gucrre
á
l'Anglclcrrc. Elle viole aujourcPhui
u
se~
scrmcnts; clic ne vcut donncr aucune
u
cxplication de son étrangc conduilc, que les
1
t
aigles franc;.aises n'aienl repnssé le Rhin, lnis–
" sant par Ja nos alliés
it
sa discrélion ... La
" Uussic cst cnlrainéc par la fatalité ; ses des–
" tins doivcnt s'accomplir, Nous croit-cllc done
" dégénérés? Ne scrions-nous plus les soltlats
" d'Austcrlitz? Elle uous place entre le déshon-
1i
neur et Jaguerrc : notrc c1wix ne saurnit Ctre
" doutcux. Marchons done en avnnl, passons le
u
Niémcn, portons
In
gucrre sur son tcnitoire.
11
La sccondc gucrrc de Polognc
s~n
gloricusc
u
aux armes franc;.aiscs. lUais la pnix que nous
u
conclurons portera avcc elle sn gnranlic; clic
" mcllra un tcrmc
a
Ja funeslc inllucncc que la
·e
Russic cxcrcc dcpuis cinqu:rnte nns sur les
i!
affaircs dé l'Europe.
)1
Cctte proclamation applaudic avcc chaleur,
les troupes dcsccndircnl des hautcurs en for–
rnant trois longucs colonnes, 11ui tour
a
tour
paraissaient et disparnissaicnt en s'cnfonc;.:mt
dans les ravins qui ahoulissnicnt au llcuvc.
Toutcs les picccs de douzc, rangécs sur le t!cmi-
ccrolc des hautcurs, dominaicnt la plainc ou
allnit débouchcr l'arméc, soin du reste inutilc,
car l'enncmi ne se montrait oulle part. Napo–
Jéon, sorti de sa lente et entouré de ses officicrs,
rontcmplait avcc sa lunctte le spcclaclc de cetlc
force prodigieusc, carsi on a rarcmcnt vu dcux
cent millc hommcs agissant
ii
la
íois dans une
gucrrc, on les avus plus raremcnt cncorc réunis
sur un mcmc point, et dans un tel apparcil, et
ccpcndant presquc au mCme moment, et
:1
quclqucs licues de la, deux cent mille autrcs
travcrsaicnt le Niémen
!
L'infanlcric du maréchalDavoust,précédécde
la cavalcrie légCre, se porta la premiCre au
bord du fleuve, et chaque division passant
a
son
tour sur Ja rivc opposéc
1
vint se rangcr en ba–
taillc dans Ja plaine, l'infanteric en colonncsscr–
récs, l'artilleric dansles intcrvallcsde l'infanleric,
In cnvalcric légCrc en avant, la grossc cavalcric
en nrricrc. Les corps des maréchaux Oudinot el
Ncy suivircnt; la gardc aprCs eux, les pares
apres lagnrdc. En quclques hcures Inrive droitc
fnt couvcrle de ces troupes mngniíiques, qui,
dcsccndant des hauteurs de In rivc gauchc, se
déroulant en longncs files sur les trois ponts,
scmblaicnt couler commc lrois torrcnls inépui–
snblcs dans cclle plainc arrondic qu'clles rcm–
plissaicnt déja de Jeurs flots pressés. Les fcux
du solcil étincelaicnt sur les balonncltcs et les
casques; les troupes , enthousiasmécs d'cllcs–
memcs et de lcur chef, poussaienl sans rclachc
le cri de Vive l'Empercur ! Ce n'était pas d'cllcs
qu'on <lcvait attcndrc et désircr in froide rnison
qui nurail pu npprécicr et pré1·cnir cctte fobu–
lcusc cntreprisc. Elles ne rcvaicnt que triomphcs
et courscs lointaincs , car elles étnicnt convain–
cucs que l'cxpédition de Russie allait finir dans
les lndes. On a souvcnt parlé cl'un oragc subit
qui
scrait
vcnu comme un
oraclc sinistrc
donncr
un a\'is non écouté: il n'cn ful ricn, hélas
!
le
lemps ne ccssn pas <l'ctre supcrbe
1
,
el Napoléon,
qui n'avait pas cu les avcrtisscments de l'opinion
publique, n'cut pas mémcccuxde Insupcrstition.
Apres avoir conlemplé pcndanl quclqucs heu–
rcs ce spcclacle extraordinnire, contcmplation
cniv1·antc et stérilc, Napolt'on, monlant
a
chevnl,
quilla la hautcur oú nvaicnt été disposccs ses
tenles, dcscendit a son tour au hord du Niémcn,
lmvcrsa l'un des ponts,
el
tournant
brusquc-
plus tuinctc¡uclqucs
L'cS1 r0>·m,ec <1·1"""qui l'css11yac11 passant