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334

AM~

l'homme

f~t

un point mathématique, pui{quc le point

marhématique n'exifie que dans I'imaginarion. Ce

n'efi pas auffi un point phyfi,tue ou un acomc. Ou–

tre qu'un atome indiviíible repugne par lui-meme ,

cette ridicule penfée n' fi ¡amais tombée dans !'e{–

pricd'aucun homme, non pas mcme d'aucun Epi–

curien. Puis donc que

l'ame

de l'homme ne peut etre

divifée ,

&

que ce n'eíl ni

t~n

atome ni un point

mathématique, il s'en{uit manifefiement que ce n'efi

pas un corps.

Lucrece

apn~s

avoir parlé d'atomes fubtils , qui

agitent

le

corps , fans en augmenter ou diminuer le

poids , comme on voit que l'odeur d'une rofe ou du

vin, quand eUe efi évaporée , n'ote rien

a

la pefan–

teur de ces corps : Lucrece, dis-je, voulant enfuice

rechercher ce qui peut produire le tentiment en

l'homme , s'eíl trouvé fort embarra{[é dans {es prin–

cipes :' il parle d'une quatrieme nature de

l'ame

qui

n'a poine de nom,

&

'lui efi compofée des parties

les plus déliées

&

les

plus

polies, c¡ui {ont comme

l'ame

de

l'ame

elle-meme. On peut lire le

troifieme

livre

de c¡; Poete philofophe ;

&

on yerra fans peine

que fa philo{ophie efi pleine de ténebres

&

d'obfcu–

rités,

&

qu'elle ne fatisf¡lit nullement la raifon.

Quand je me replie fur moi-meme, je m'apper–

trois que je

pen~e

, 9ue je

r~fléchis

fur ma

p~nfée

, que

j'affirme, que Je me, q;le Je veux ,

~ c¡u~

Je ne veux

paso Toutes ces opératlOns me font mfílllment con–

nues; c¡uelle en efi la caufe?

C'

efi mon efprir : mais

quelle-efi fa nature , íi c'efi un eorps,

ces

aélions

auront néceírairement quelque teinture de cette na"'

nrre corporelle ; elles conduiront néce{[airementl'ef–

prit

a

reconnoltre la liai{on 'lu'il a par quel'lue en–

droit avec le corps

&

la matiere qui le foútient com'

me un fujet,

&

le produit comme ron effet. Si on

penfe

a

'lllelque chofe de figuré, de mou ou de dur ,

de [ec ou de liquide, qui foit en mouvement ou en

Tepos, l'efprit {e porte d'abord

a

fe repréfenter une

fubfiance qui a des parties féparées les unes des au–

tres,

&

qui efi néceíI"airement 'tendue. Tout ce

<¡u'onpeut s'imaginer

qui

appartienne au corps, tou–

tes les propriétés

d~

la figure

&

tlu mouvement,

conduifent l'efprit

a

reconnoltre cette élendue , par–

ee que toutes les aélions

&

tomes les c¡ualités du

corps en émanent, comme de

leur

origine; ce font

autant de ruiíI"eaux qui menene néce{[airement l'ef–

prit

a

cette fource. On conclut donc certainement

que la caufe de toutes [es aélions , le fujet de toutes

fes qualités eíl une fubfiance étendue. Mais quand

on pa{[e aux opérations de

l'ame,

a

[es penfées ,

a

fes affirmations,

a

fes négations ,

a

fes idées de

verité , de fau{[eté,

a

l'aéle de vouloir

&

de ne

pas vouloir ; quoique ce foient des aélions claire–

ment

&

difiinétement connues , aucune d'elles néan–

moins ne conduit l'efprit

a

fe former l'idée d'une

fubfiance matérielle

&

étendue. Il faut donc de né–

ceffité conclurre qu'elles n'ont aucune liaifon e{[en–

tieIle avec le corps.

On pourroit bien d'abord s'imaginer que l'idée

qu'on a de quelque objet particulier , comme d'un

cheval ou d'un arbre, feroit quelque chofe d'éten–

QU,

parce qu'on fe figure ces idées comme de

petits

portraits {emblables aux chofes qu'elles nous repré–

fentent : mais quand on y fait plus de réflexion , on

conc;oit aifément '{ue cela ne peut etre. Car quand

je dis ,

ce qui

tI

éte foit

,

je n'ai I'idée ni le portrait

el'aucune chofe: mon imagination ne me fert ici de

rien; 1U0n efprit ne fe forme Fidée d'aucune chofe

particuliere , il conc;oit en générall'exifience d'une

chole. Par conféquent cette idée,

ce qui a

été

foil ,

n'eíl: pas une idée qui ait reC;ll que/que e>.'teníion ni

aucune expreffion de corps étendu. Elle exifie pour–

tant dans mon ame, je le fens ; fi done cette idée

ólyoit quelque figtrre ,

quelq1.le

extenfion , q\1elque

AME

m01.lvement; comme elle ne provient pas de

l'ob..

jet, elle auroit été produite par mon e{prit , parce

que mon efprit feroit lui-meme quclque

chor.

d'é–

tendu. Or fi cette idée {ort de mon efprit, parce

qu'il efi formeIlement matériel

&

étendu , elle aura

rec;il de cette exteníion qui l'ama produite, une liai–

fon néce{[aire avec elle, c¡ui la fera cOMoitre ,

&

'lui la préfentera d'abord

a

I'efprit.

Cependant de quelque coté que je tomne cette

idée, je n'y apperc;ois aucune connexion néce{[aire

avec l'étendue. Elle ne m parolt ni ronde, ni quarrée,

ni triangulaire; je n'y conc;ois ni centre, ni circon–

férence, ni bafe , ni angle, ni diametre , ni aucune

autre chofe qui réfttlte des attributs d\m corps; des

que je veux

la

corporifier, ce font autant de téne–

bres

&

d'obfcurirés Cjue je verfe fur la conI1oiíI"ance

quej'en ai. La nature de l'idée fe foweve d'eIle-me.J

me contre tous les attributs corporels

&

les rejette.

N'efi·ce pas une preuve fort [eníible qu'on veut y

in{érer une matiere étrangere qu'elle repou{[e,

&

avec laquelle elle ne peut avoir d'union ni de

[o-–

ciété ? Or cette antipathie de la penfée avec tous

les attributs de

la

matiete

&

du corps , fi fubtil , fi

délié ,

agité qu'íl puiífe etre, f9roit fans contre–

dit impoffible ti la penfée émanoit d'une nlbfiance

Gorporelle

&

étendue. Des que je vem:: joindre quel–

que étendue

.~

ma renfée,

&

divifer

la

lTIoitié d'une

volonté ou d'une reflexion , je trouve que cette moi–

tié de volonté ou de réflexion eíl: quelque chofe

d'extravagant

&

de ridicule: on peut railonner de

meme, fi on tache d'y joindre la figure

&

le mouve–

mentoEntre une fubnance dont l'eílence eíl: de pen-'

fer

&

entre une penfée ,

il

n'y a ríen d'intermédiaire,

c'eíl: une caufe qui atteint immédiatement ron eJTet

~

deforte qu'ü ne faut pas croire que l'étendue, la

fí~

gure ou le mouvement aient pit s'y gliírer par des

voies fubreptices

&

fecretes pour y dememer

in–

cognito.

Si

elles

y fone, il fam néce{[airement ou que

la penfée ou que la faculté de peneer les découvre :

or il efi clait que ni la faculté de penfer ni la

pen~

fée ne renferment aucune idée d'étendue, de figure'

ou de mouvement. Il eíl: donc certain que

la

{üb[–

tance 'lui pen{e, n'efi pas une fubfiance étendue ,

c'eft-a-dire un corps.

Spinofa pofe comme un principe de fa Philofophie;

que l'efprit n'a aucune faculté de penfer ni de vou–

loir : mais feulement il avoiic qu'il a telle ou telle

penfée , telle ou telle volonté. Ainfi par l'entende–

ment, il n'entend autre chofe que les idées aéluel–

les qui [urviennent

a

l'homme. Il faut avoir un grand

penchant

a

adopter l'abfmclité , pour recevoir une

philofophie íi ridicule. Afín de mieux comprendre

cette abfurdité ,

il

faut coníidérer cette fubfiance en

elle-meme,

&

par abíl:raélion de tous les etres [m–

guliers,

&

particulierement de I'hommc ; car puif–

que l'exifience d'aucun homme n'efi néceíI"aire,

il

efi poffible qu'il n'y ait point d'homme dans l'uni–

verso Je demande donc fi cette filbfiance , coníiclérée

ainfi précifément en elle-meme , a des pen[ées ou

fi

elle n'en a paso Si elle n'a point de penfées, COlTI–

ment a-t-elle pú en donner

a

l'homme , puif'lu'on ne

pellt donner ce qu'on n'a pas? Si elle a .des penlces,

je demande d'oll

elles

lui font venues ; fera-ce de

dehors ? Mais outre cette fubfiance , il n'y a rien.

Sera - ce de dedans ? Mai! Spinofa nie qu'il y air

aucune faculté de peníer , aucun entendemcnt on

puilrance, comme il parle. De plus,

fi

ces penfées

viennent de dedans Ol! de la natme de la fllbfiance,

elles fe trouveront dans tol!S les etres quj poífede–

rene cette fubfiance ; deforre que les pierres r¡¡ifon–

neront auffi·bien que les hommes. Si on répond que

cette fubfiance , pour etre en état de penfer , dojt

etre modifiée ou faC;OImée de la maniere d0nt

I'hom–

me efi formé; n [era-ce pas un Diell d'lIne

alI"ez