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L'UNIVERS.
1780,
les indigénes, fatigués de ces
actes de vol et de fraude, résolurent
de secouer le joug. S'ils avaient pu hé- •
siter' ils auraient été
poussé~
a
l'ia–
surrection par !'inexorable avarice des
corrégidors de Chayanta et de Tinta,
qui , cette me111e anuée, eurent la
cruauté d'imposer aux habitants de
leur district trois
repartimientos,
dont
chacun produisit environ
150,000
<lol–
lars. La révolte s'organ isa done sans
autre délai . Les méconteuts étaient di–
rigés par un cacique qui se disait des·
cendant de Sairi Tupac et <.l e Tup.1c
Amaru; pour donnrr plus• d'éclat
a
son entreprise et inspirer
a
¡;es subal·
ternes un respert utile a ses desseins,
ce chef avait pris le nom de son nleul,
le dernier luca, et s'était enlouré de
toute la po111pe et de toute la 1nagnifi–
ce11ce
<les
rois ses ancétres. Cet 1psi–
lanti Péruvien s'appelait
réellement
don José Gabriel Condorcanqui ; il
était fils du cacique de Tungasuca,
villa¡¡;e de la provi11ce de Tinta, ou plu–
tot fils de la femm.e <.lu cacique, car,
suivant J\L rle Bumboldt, 11 éta it nwtis,
et son veritélble péi·e était nn moíne.
11 avait reQU une éducation assez dis–
tinguée
a
·Lima. Son atutud e noble et
fiére, sa taille élevée e.t ses 1na11iéres
empreintfs d'une majesté calculée,
prevenaient singuliérement en sa
fa–
veur, et imposa1ent surtout
a
la foule
, ignorante de ses c.omplices; il ava1t
aussi les vertus qui honorent la vie
privée, mais il manquait des qualités
éminentes qui c:rnviennent au libéra–
teur d'un peuple et au régé11éra teur
d'un empire. Au lieu de faire cause
commune avec les Américains e pa–
gnols, qui, nés sur
le memc sol ,
croyaienl avoir des droits égaux
a
ceux des Ind iens, et qui, d'a1 lieurs,
souffraient tout autant des exactions
<le leurs maitres comm
uns,il se mon–
tra aussi hostilc enrers
r.uxqu'envers
les hommes <'lont il vo
ulaitbriser le
pouvair. 11 se préparait ainsi une rles–
tinée qu'une polit1que moins étroite
et plus inteHigente aurait a coup sílr
changée, ou, tout au 111oins, modi li ée.
Toutefoi~,
sa cause ne tarda pas
a
de–
venir populaire, et
il
vi t accourir au-
tour de lui une multitude d'Indiens
indisc:plinés , qu' il ne pouvait ni ar–
mer , ni instr11ire rlans la tactique mi–
litaire. Mais le co ura!.\e dt> ces hommes
qlll combattairnt pour la liberte, con–
tre-balanqa
pend~nt
les premiers temps
l' habileté de Jeurs adversaires. Les
insurgés conquirent les provinces de
Quispicanchi, Tinta , Lampa, Azan–
gara, Cararaja et Chumbivilcas; mais
apres plusieurs cqmbats daos lesquels
ils résistérent avec fureur
a
un en–
nemi
redoutable par
la supériorité
de ses moyens d'att,1que, Tupac Amaru
fut fait prisonn ier. On cut
fa
barbarie
de Je. rendre témoin du supplice de sa
femme et de ses enfants; aprés quoi,
il
fut
mis
a
mort, avec des raffine–
ments de cruauté di:( nes des premiers
conquérnnts du Pérou
¡*).
Ce traitement atroce etignominieux,
loin el e jeter la terreur parmi les in–
s11rgés, et de les dél'ider, comme on .
l'avai t espéré '
a
implorer n1erci' ne
fit
qn'exciter leur cotere et augmenta
leur nombre par l"accession d'une foule
d'indigénes, restés jusque-l il simples
spe.-:tateurs de la lutte. Conduits par
des chefs intrépides, ils firent. aux Es–
pagno ls une guerre de désespoir et de
desu·ucl ion. Plusieurs détacheinents
d'Européens furent tail lés en piéces.
Encouragé par ces succes, Andrés,
neveu de José Gabriel Condorca11qui,
mit le siége devant Sorata, ville située
prés de La Paz, et ou les Espagnols des
districts voisins s'étaient réfugiés avec
leurs familles et leurs richesses. Les
Indiens, mal armés et encore plus mal
dirigés, ne pouvaimt ríen contre des
fortification s, cons truí tes en terre,
a
la
véritt\, 111ais garnies d'une artillerie for–
midable. Le chefeles assaillants parvint
néanmoins
a
t\galiser les chances par -
un stratageme qui aurait fait honnenr
au chef d'une armée européenne : au
moyen d'u11e
longue jetée qu' il fit
constrnire avec un e surprenantc rapi–
di té, il réunjt le · eaux qui to111baient
des ci mes neigeuses des montagnes
d'Ancoma, et les dirigeant contre tes
(') On lui arracha la Ian¡¡ue, puis on le
fil
écarteler.
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