PÉROU Et BOLIVIE.
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tions de leur pays a exercé sur leur
uaturel une influence qui s'est prolon–
gée jusqu'a nos jours; Les habitudes
d'obéis¡¡ance passive et de respectaveu–
gle pour leurs souverains' jointes
a
la
terreur que leur inspiraient des lois
d'une sévérjté excessive, comprime–
rent chez eµx tout sentiment d'initia–
tive, et disposerent leur esprit a cette
espece d'abrutissement qu'on leur a si
souvent reproché. Toute pensée de re–
bellion contre le monarque et ses dé–
légués ét¡¡nt non-seulement un crime
de lese·majesté, mais encare un sacri–
lége, les sujets s'étaient pea
a
peu ac–
coutwnés
a
une soumission absolue
envers les autorités.
Fa~onnés
a
cette
résignation sans bornes , ils change–
rent de nrnitres sans murmurer, et ré–
porterent sur les Espagnols la vénéra–
tion superstitieuse dont ils faisaieht
profession envers les Incas. lis obéi–
rent aux conquérants comme ils avaieot
obéi aux prétendus enfants du soleil.
lis se
laisserent oppi;irner presque
sans résistance, parce qu'ils voya· ent
dans les Européens des hommes en–
voyés, eux aussi , par leur pere com–
mun. De la cette opinion que les Pé–
r.uvjens étaient un peup)e de laches ,
comnrl'! si les instincts les
J>IOS
énergi–
q~1es
n'étaient pas moditiés par des
idées et des institutions énervantes.
On se ra'ppelle d'ailleurs ce que nous
avons fait observer au sujet de Ja di–
vision des terres et du régime de la
communauté. Nul doute que la certi–
tude d'un bien-etre facilement acquis,
et
l'
extinctlon de toute ambition, comme
de tous dé¡;irs excentriques , daos le
creur des indigenes, n'eu sent puis–
samment contribué
a
plonger les Péru–
viens dans cette indolence. et cette apa–
thie que les historiens oo,t prise pour de
la pusillanimité. Sans doute, nous le
répétons , les Quichuas sont d'un na–
turel docile et éminemment sociable ;
mais de la douceur
a
la lficheté
il
y a
loin; la docilité n'est pas du tout in–
compatible avec le courage.
Les Qµichuas sont hospitaliers en–
vers les étrangers, reconnaissants en–
vers les personnes qui leur ont fait du
bíen
1
'bons peres
de famille, ouvriers
adroits et laborieux. ils oublient dif–
ficilement une offense, mais ne cher–
chent pas les occasions de se venger ;
aussi les crimes sont-ils extremement
rares au Pérou. lis sont généralement
tacitúrnes, etleurphysionomie exprime
une mélancolie qui n'a rien de farou–
cbe, mais qui est le signe caractéristi–
que d'une condition malheureuse. Au
nombre de leurs bonnes qualités, il
faut mettre la sobriété, la résignation
dans les
souff~ances
pbysiques ou mo–
rales, et la discrétion
(*).
Les voyngeurs qui n'ont vu que les
défauts de ces Arnéricains, sans tenir
compte de l'influence abrutis ante de
la servitude, n'ont pM craint d'accuser
les Quichuas de stupidité, et de les as–
sirniler
a
la brute. La Condamine et
son cornpagnon de voyage Bouguer ont
fait des Indiens du Pérou le portrait
le plus repoussant. Ulloa, qui partagea
les traYaux et la gloire de ces deux cé–
lebres acadérniciens , renchérit sur
leur appréciation, et nous montre les
Quichuas sous le jour le plus ignoule.
Nous citerons l'opinion de ce savant
Espagnol, atin que le lecteur sache jus–
qu'ou a pu aller
l'ínju~tice
des écri–
vains qui ont jugé les Péruviens au
point de vue des idées européennes, et
abstraction faite de la situation, alors
si douloureuse, de ces pauvres gens :
" Si on les regarde comme des l1om–
mes, dit Ulloa, les bornes de leur intel–
ligence semblent incompatibles avec
l'excellence de l'ame, et leur imbécil–
lité est si visíble ,
qu'a
peine , en cer–
tains cas, peut-on se fa,ire d'eux une
autre idée que celle qu'on a des ani–
maux. Ríen n'altere la tranquillité de
leur ame, également insensible aux re–
vers etaux prospérités. Quoique
a
demi
nus, ils sont aussi contents que le roí
le plus somptueux dans ses habille–
n1ents. Les richesses n'ont pas le moin–
dre attrait pour eux; l'autorité et les
dignités ou ils peuvent prétendre leur
parai~sent
si peu des objets d'ambition,
qu'un lndien recevra avec la meme in-
(*)
Ulloa rappelle qu'un complot s'est
tl'amé durant trente ans au Pérou, sans
qu'il
y
uit eu un seul déuonciateur.