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704

D E S

une étude aífez curieufe que celle des tableaux di–

vers qu'un meme fujet a produits ' imit és par des

mains favantes. Que l'on compare les aífaurs , les

batailles , les combats finguliers, décrits par les

p~us

grands poetes anciens

&

modernes: avec

co~~1en

d'inrelligence

&

de géníe chacun

d'~u;

a

var~e

ce

fond commun par des circonfrances t1r es des heux,

des tems

&

de~

perfonnes

!

Combien, par la feule

nouveauté des armes l)aífaut des fauxbourgs de Pa–

ris differe de l'attaque de murs de Jérufalem,

&

de

celle du camp des Grecs

!

Indépendamment de ces variations que les arts

&

les mreurs onc produites,les·afpeé:ts de la nature , fes

phénomenes' fes accidens dllferent d'eux. memes

par des circon:fiances qui fe combinent

a

l'infin i'

&

fe pretent mutuellement plus de force par leurs con–

traites.

Les comraíles ont le double avantage de varier

&

O.'animer la

dej'cription.

Non- feul ement deux ta–

bleaux oppofés de ton

&

de couleur fe font aloir

l'un l'autre; mais dans le meme tableau' ce melange

d'ombre

&

de lumiere détache les objets

&

les re–

leve

a~ec

plus d'éclat.

Combien, dans la peinture qu'a fait le T aífe de la

féchereífe brulante qui con fume le camp de Gode–

froi, le tourment de la foif,

&

la pitié qu'il infpire ,

s'accroiífent par le fouverur des ruiffeanx, des clai–

res fontaines dont on avoit quitté les bords délicieux !

Un eKemple de l'effet des-eontra:fies, apres le–

quel il ne faut ríen citer, efi celui des enfans de

Médée careífant leur mere qui va les égorger,

&

fou–

riant au poignard levé fur leur fein : c'efi le fublime

dans

~e

terrible.

Mais il faut obferver dans le contraíl:e des ima–

ges' que le melange en foit harmonieux. Il en eft

de ces gradations comme de celles du fon, de la

lurniere

&

des couleurs; rien n'efi terminé, tout fe

communique , tout participe de ce' qui l'approche.

Un accord n'efi fi doux

a

l'oreille, l'arc-en-ciel n'eft

fi

doux a la vue' que paree que les fons

&

les cou–

leurs s'allient par un doux melange.

La poefie a done fes accords, ainfi que la mufique,

& fes reflets ainfi que la peinture. Tout ce qui tran–

che e:fi dur

&

fec. Mais jufqn'a que} point les objets

oppofés doivent-ils fe reífentir !'un de l'autre

?

L'in–

fluence dt-elle réciproque

&

dans quelle propor–

tion? Voila ce qu'il n'e:fi pas facile de déterminer;

cependant la nature l'indique. Il

y

a, dans tous les

tableaux que la poefie not-ts préfente, l'objet domi–

Jilant auquel tout efi foumis: c'e:fi lui dont l'in.fluence

doit etre la plus fenfible' comme dans un tableau

l'objet le plus coloré, le plus brillant, efr celui qui

communique le plus de fa

co~leur

a

e~ q~li

l',envi–

ronne. Ainfi, lorfque le grac1eux ou 1enJoue con–

traite avec le grave ou le pathétique, le gracieux ne

doit pas etre auffi fleuri' ni l'enjoué auffi plaifant

que s'il était feul

&

comme en liberté. La douleur

permet tout au plus de fourire. Que Virgile com–

pare un jeune guerrier expirant a une fleur qui vient

de tornber fous le tranchant de la charrue , il ne dit

de la fleur que ce qui e:fi analogue

a

la pitié que le

jeune homme infpire:

La'l;~uejcit

moriens.

J?ans

}es

defcriptions

des grands poetes , on peut vo1r qu en

oppofant des ima_ges riantes

a

des

table~ux d?u~ou~eux,

ils n'ont pns des unes que les tra1ts qtu s ac–

cordoient avec les autres, c'efi-a-dire, ce '-qui s'en

re trace naturellement a l'efprit d'un homme qui fouf–

fre les maux oppofés

a

ces biens.

De meme dans un tableau ou domine la joie , les

chofes les plus trifies en doivent prendre une teinte

Iégere. C'e:fi ainfi que les poetes lyriques dans leurs

chanfons voluptueufes, parlent gaiement des peines

de l'amour, des revers de la fortune, des appro–

ches de la mort. Mais pille cont.rafte e:fi le plus

dif-

DES

ficil e

a

concilier avee

1

harmonie' c'eft du path,

ti–

que au plaifant.Dans l'Enfant prodigue, la uaiet de

Jafmin a cette teinte que je deíire; elle eft

0

d accord

avec la trifieífe noble du jeune Euphémon,

&

av e

le ton général de cette piece

ú

toucbante.

Dans le conrrafte, l'objet dominant e:fi foumis lui–

meme aux loix de l'harmonie

;

e' fr-a-dire

par

exemple, que pour foutenir le contra:fie d'une gaieté

douce

&

riante ' le path

1

tique doit etre mod

1

r ,.

Heétor fourit en voyant AHianax effrayé de fon

cafque ; mais, quoi qu'en dife Homere., il n eft

pas

natu·rel qu'Andromaque ait foun . Vattendriífement

d'H é:tor eíl compatible avec le fent iment qui le fait

fourire; au lieu que le creur d'Andromaque efi trop

ému pour fe faire un plaifir de la frayeur de fon

enfant. Les amours peuvent fe jouer avec la maífue

d'Hercule , tandis que ce héros foupire aux pieds

d'Omphale; mais ni fa mort, ni fon apoth ·ofe ne

comportent rien de pareil. Ainfi, le fujet principal

doit lui-meme fe concilier avec les contra:fi

s

qu'on

lui oppo[e , ou plutót, on ne doit lui oppofer que

les contra:fies qu'.il peu r fouffrir.

La

defcr:ption

efi a l'épopée ce que la décoration

&

la pantomime font

a

la tragédie. ll fclUt do ne que

le poete

[e

demande

a

lui-meme ;

íi

l'aa:on que je

raconte fe paífoit fur un tbéatre qu'il me fCtt libre

d'aggrandir

&

de difpofer d'apres nature, comment

feroit-ille plus avantageux de le d ' corer pour 1in–

t ~ret

&

l'illuíion du ipeé:tacle? Le plan idéal qu'il

s'en fera lui-meme fera le mod ele de fa

difcription.,

&

s'il a bien vu le tableau de l'ailion en la décrivant,

en la lifant on le verra de meme.

Il en e:fi des perfonnages comme du lieu de

la:

fcene: toutes les fois que leurs vetemens' leur atri–

tude, leurs gefies, leur expreilion , foit dans les

traits du vifage, foit dans les accens de la voix, in–

téreífent l'aé:tion qne le poete veut peindre , il doit

nous les rendre préfens. Lorfque VéntJS fe montre

aux yeux d'Enée, Virgile nous la fait voir comme

ti

elle étoit fur la fcene :

.

Namqtte humeris de more hahilem fufpenderat arcum

Yenatrix; dederatque comas dijfundere ventis:

Nuda genJ!-, nudoque jinus coLLeRafluentes.

Il nous fait voir de meme Camille lorfqu'elle s'a.

vanee au c-ombat,

Ut regius ojlro

Yelet nonos leves humeros; ut fibula crintm

A uro interneflat; Lyciam ut gerat ipfa pharetram,

Et pajloralem prafixá cujjúde myrtum.

On peut voir des exernples de la pantomime ex–

primée par le poete dans la difpute d'Ajax

&

d'U–

lyífe pour les armes d'Achille. (

Metam.l.

XiiJ.)

Si

l'un

&

l'autre héros étoient fur la fcene, ils ne nou.s

feroient pas plus préfens. Mais le modele le plus

parfait de l'aé:tion théatrale exprimée dans le récit

du poete, c'eft la peinture de la mort de Didon.

llla graves oculos conata attollere, ruifus

Deficit : infixum firidet Jub peRore vulnus.

Ter

Jefe

attollens cubitoque innixa Levavit ,

Ter revoluta toro

efl:

ocufifque errantibus , altt>

Qucejivit

u~Lo

lucem, ingemuitque repertá,

Le talent difiicélif du poete épique étant celui

d'expofer l'aé:tion qu'il raconte, fon _géni.e confiíl:e

a

inventer des tableaux avantageux a pemdre'

&

fon goflt

a

ne peindre de GeS

table~UX

que

Ce

qu"d

efi intéreífant d'y voir.

~?mer~

pemt plus

e~ ~é­

tail; c'eft le talent du poere,

~1t

le Taffe:

Vtr&~le

peint a plus grandes tonches' e eíl: le talent du poete

héro1que;

&

c'eft en quoi le

~y

le de l'épopée

~iffere

de celui de .t'ode, laquelle n ay.ant que de pet.Its

ta·

bleaux , les finit avee plus de fom.

J'aj