Table of Contents Table of Contents
Previous Page  246 / 960 Next Page
Information
Show Menu
Previous Page 246 / 960 Next Page
Page Background

CAR

admirable dans l'art de faifir les

m~ur~

&

la fagon de

pe-afer

du fiecle de fa

MeJliade.

·

De grandes aétions épiques , qtli-embr

aífe

nt

~lu­

fieurs perfonnagesdifiingués, exigentauffi u.ne grand_e

variété dans les

caraaeres.

Mais cette variété ne cl.o1t

pas úmplement réfulter de la diveríité eífentielle du .

caraélere

telle qu'on la trouve par exemple dans

1'/liade,

'entre Achille., Nefior

&

Ulyífe, qui n'ont

pas un feul trait de conformité;

~~

faut

e~core.

que

des caraéleres-.eífentiellement les memes, f01ent diver–

fifiés par d'agréables r.mances qui tir_ent leur origine

de l'age du génie , du

tempér~ment

ou d'autres mo–

difications accidenrelles

~s

dlfférens perfonaages.

Ceux qui different dans les principaux trai-ts font

d'un grand uf.age , lorfqu'en rapp-rochant dans d'é–

gales conjonB:ures des

oarafleres

oppofé~

, on les

f1út

contrafier. Ce conti"afie fait reífortlr chaque

caraElue

avec d'autant plus de force, qu'on place un

fournois'

a

coté d'un homme franc

&

ouverr ; un

téméraire' un emporté'

a

coté d'nn homme

pré~

voyant

&

circonfpe8:; il n'ef

i pas doute

ux que

tOU'tes les démarches de

1\m

fr.ap?eront

d'autant

plu , qu'on les comFarera a

u~

pr<i>cédés de l'autre.

Une obfervation qui n'efi pasa

néglige'~"

ici, c'eíl

qu'il eíl: tres-avantageux d'introdrlire quelque per–

fonnage qui appuie o

u

qui dirige notre

jugemem

fur

la conduite des pri.nciFaux aél:eurs. Quand , par

exemple, dans un des momens les plus intéreífans,

les premiers perfonnages font tous ag¡tés par des ,

paffions violentes,

il

eil: bon qu'il y en ait d'autres

qui

confervent aífez de fang-froid pour juger faine–

,ment

&

avec fagacité de ce qui fe paíf-e fous leurs

yeux. En effet , jamais les décifions de la raífon

n'agiífent avec plus de force fur Aous, que Iorfque

nous la voyons contrafier avec une adm·ira-tion ou–

trée, ou avec une averfionviolente. Dans le

Richard

de Shakefpear, quand tous les perfonnages excités

par les fureurs de ce tyran, font animés conne lui

de l'horreur

la

p1us ·véhémente, il ne mal'lque qu'un

homme de

fen~

raflis qui ajoute

a

l'impreffion que

l'émotion des anues fait fur nous, par l'énergie im- ·

partiale

&

réfléchie avec; laquelle il prononceroít {on

jugement.

A

u

refie, par ce que nous venons de dire du coo–

trafie des

caraaeres'

&

en particulier du contrafie

des paffions avec la raifon, nous ne prétendons pas

infinuer que chaque

caraaere

doive etre aCCGmpagné

de fon oppofé, comme un corps l'eft de fon ombre:

cela fentiroit la gene

&

l'affeB:ation. On peut inrro–

duire des

caraéleres,

fans les f.gire contraíl:er par d'au-.

tres'

&

ceux qui contrafient ne doivent pas etre in–

féparablement liés ent-re ellx. Un -poete judicieux

faura ménager les contrafles, de maniere qu'on n'y

appers:oive ni art ni contrainte,

&

qu'ils ne foient

employés qu'a donner plus de force

&

de vivacité

aux impreffions principales qu'on fe propofe de pro–

duire au moyen des

cara·aeres.

Un des critiques modernes, qui fe diíl:ingue le plus

par la fagacité

&

la profondeur de fes richeífes,

veut que dans la poéfie dramatique on place le con–

trafle , non dans l'oppofition des

caraéleres

,

mais

dans l'oppofitiQn du caraB:ere avec

la fituation

de l'aB:eur.

Il

fait

a

ce fujet dans fon excellent

traité

de

la Poéjie

dramatique

,

plufieurs remar–

ques tres-fines

&

tres-folides fur l'incongruité des

caraéleres

contraflés. Mais au fond, ces réflexions ne

tombent, ce me femble >que fur l'abus

&

l'exces de

ces

caraéleres.

Le poete doit fans doute 'placer fes

perf-onnages dans des fituations qui, par leur variété

&

leur oppofition' fervent

a

dt!velopper

&

a mettre

a

u

grand jour leur

caraélere;

il doit également éviter

d'affoiblir l'attention du fpeB:ateur , pour l'un des

principaux

caraéleres,

e'n lui en oppofant un autre

également intéreífant; mais

cela

n'empeche pas qu'il

CAR

ne pu!fre contrafler le principal

ca-raélm,

p011r le–

faire reifortir avec plus de force, pourvu

qu'il

le

faífe adroitement,

&

d'une maniere judicieufe.

Quelques critiques,

&

de ce nombre

eH

Shaffcef–

bury,

ont foutenu qu'il falloit exclure du drame

&

de 1'-épopé€ tout

c-araélere

parfait. Si on l'entenu d'un

dégré de perfeél:ion,

qni

foit au-deílits de la nature

h~tma1ne,

il

feroi1: abfurde fans doute d'ailigner un

tel

caraa~e

a

un firnple homme. Mais, pourquoi

m~

feroit-il pas permis d'attribner

a

un perfonnage la

plus haute p-erfeB:ion que l'humanité compo-rte

t

La

crainte qu'un tel

caraélere

ne

fftt

pas aífez intéreífant,

paree qn'il emp-@·cheroit le j'eu des paffions, n'eft rien

m<?ins que

~ien

fonclée. Suppofons qu'un poete choi–

fifie la mort de Socrate pour le fttjet de fon drame,

s'il ne veut pas s'écarter de la vérité hiflorique,

il

ne pretera

a

So~rate,

dans toute l'aél:ion , aucune

foibleífe humaine; puifqu'en effet ce ¡ohilofophe n'en

montra p0int. Mais la perfeB:i·on de ce

e-araRere

ne

nuira pas

a

l'intéret ;

on

peut s'en convaincre

par

l'efpece de drame que Platon

&

Xenophon nous ont

tranfmis fur cet événement. Perfonne

qui

a des en·

trailles n'ep peut foutenir la leélure' fans en·e vive–

ment touché. On ne voit done point par quelles rai–

fons des

caracteres,

parfaitem~ñt

v.ertueux, ne pour-

. roient pas intéreífer.

Il

ne faut pas fans doute les

compofer a plaifir :

la

perfeB:iun

d~it

et<re l'effet de

caufes qui exiftent dans l'homme meme.

11

faut

qu'on puiífe voir de quels príncipes.,

de

quelles for–

ces de l'ame cette perfettion tire foo origine. Plw..

tarque rapporte dans la vie

d~ Marc-Ant~ne,

divers

traits de

gr~mdeu.r

d'ame

·&

de juge-ment,

<}Ui

fem..

blent fi peu réfulter du

caraRen

d'

Antoine, qu'on

n'en cons:oit point la poaibilité. Ces faits peuvent

etre vrais; mais on ne confeilleroit pas

a

un poete

de les narrer auili cruement que Plutárque Pa fait:

il faudroit p-rémierement avoir préfenté Antoin·e

fou.s une face qui put rendrtl intelli,gible la

compati~

bilit-é

d~

ces grands traits, avec le méprifable

carac–

t ere

de ce Romain. Par la metne taifon, quand

le

pocte voudra introduire un

caracrepe

pa.rfait' il doit

le rendre vraifemblable, en

d€~rmin-ant

les caufes

prochaines de fa poffibilité. On ne l'en croiroit pas

fur une fimp1e poffibilité métaphyfique,

&

fon héros

n'intéreíferoit plus.

On feroit tenté de croire que l'épopée

&

le drame

n'ont été imaginés que dans la vue d'expofer

au

grand jour les

caraéieres

des hommes.

11

femble aLt

moins qu'on ne pouvoit rien invenrer de plus propre

a

ce

but. Il

s'en faut beaucoup que l'hiftoáen ait'

a

cet égard' la meme facilité que le poere; de mettre

fes leél:eurs

a

portée d'entendre par eux-memes cha–

que difcours,

&

d'etre témoins de chaque circonf–

tance d'un événement. L'épopée fur-tout

a

l'avan..

tage

d~

pouvoir, par la multiplicité des fituations,

développer parfaitement les

caraé'leres,

&

de con–

duire fes perfonnages au dénouement de l'aél:ion:

P er

Y

arios eafus

::~

per tot difcrimina rerum.

Il n'y a que deux manieres de tracet des

caraéleres.·

L'une qui eft la

plns

direél:e, c'efi 'Cl'en faire une def–

cription immédiate, comme l'hifiorien Sallufie

ra

fait: l'autre maniere confi.fie a peindre indireaement

les

caraaeres

par les aB:ions ' les difcours' les gefi:es '

&

les diverfes íituat1onsdes perfonnages. C'eft lama–

niere qui efr propre

a

la poéíie ,

&

qui a un avan–

tage bien décidé fur la prem4ere. CeUe...

la

ne nous

donne qu'une defcription abfiraite d'une chofe que

nous ne voyons point : celle-ci nous met la chofe

elle·meme fous les yeux, avec toutes fes détermi–

nations individuelles ,

&

fubítitue ainfi le fen timent

réel a la fimple réflex ion. Elle nous fait connoitre

les hommes comme

!i

nous avions v écu de

1-eur

t~JllS

z

&

avec eux.

Or