't1 s 1.
S
o e
SOCIÉTE ,
l.
f.
( Morate. )
les hommes{ont faits
pour vivre en
Jociété ;
íi l'inteotion de D ieu ettt été
q ue chaque:: homme vccut {eul ,
&
fépar~ ~es
autres,
il auroit donné él chacun d'eux des quahtes propres
&
(uffi(antes pour ce genre de vie (olitaire ; s'il n',a
p as fuivi cette route, c'eíl
apparemme~t
paree qU'll
a voulu que lesliens du fang
&
de la nalfiance cO,m–
men<;~{[ent
a
former entre les hommes cette umon
p lus 'tendue qu'il vouloit
étab~ir ~ntr~eux:
; la plll–
p art des fa cu1tés de I'homme , ies mchnatlOns natu–
relles (a foib1e{[e, fes befoins , foot autant de preu–
ves
ce~'taines
de cette
int~ntion
du Créateur. ;felle
eíl: en effet la natme
&
la conílitution de l'homme ,
q~e ho~s
de la
Jociété ,
il ne
fa~lroit
ni
'con(erv~r
fa
Vle m déve10pper
&
perfeéhonner fes facultes
&
fes
t~lens
, ni (e procurer un vrai
&
(olide bonheur,
Que deviendroit, je vous prie , un enfant , íi une
main brenfaifante
&
fecourable ne pourvoyoit
a
(es
befoins ? Il faut qu'il périffe
íi
per{onne ne prend
.{oin de lui ;
&
cet
I
tat ele fo ible{[e
&
d'indigence,
demande meme des (ecoms long-tems continués ;
fu ivez-le dans fa jenne{[e , vous n'y trouverez que
groffiereté , qu'ignorance , qu'idées confufes ; vous
ne verrez en , lui, s'il eíl abandonné
a
lui.meme ,.
qu'un animal fauvage ,
&
peut-etre féroce; igno–
rant toutes les commoclités de la vie , plongé dans
l'oiíiveté , en proie
a
l'ennni
&
aux {(¡ucis dévo–
rans. Parvient-on
a
la vieille{[e , c'eíl: un retour d'in–
iirmités , qui nons rendent prefque anffi dépendans
des autres , que nous l'étions dans l'enfance imbécil–
le; cette clépendance fe fait encore plus fentir dans
les accidens
&
dans les maladies ; c'eíl ce que dépei–
gnoit fort bien S
I
neque ,
Senec. debenef l. I V . c. xyiij.
., D'Otl dépend norre flu eté , íi ce n'eíl des fervices
»)
mutllels ? il l1'y a que ce commerce de bienfaits
,~
qui rende la vie commode
, &
qui nous mette en
.»
érat de nous défendre contre les infultes
&
les
»
évaíions imprévues ; quel feroit le fort dll genre
" humain , íi chacun vivoit
a
part ? autant d'hom–
»)
mes , autant de proies
&
de viétimes pour les au–
" . tres animaux, un fang fort aifé él répandre, en un
" mot la foibleífe meme. En efret , les autres ani–
»
maux ont des forces fufllfa ntes pour fe défendre;
" tous cellx qlli doivent etre vagabonds,
&
él qui
" 1eur férocité ne permet pas de vivre en troupes ,
, >1
naifient pour ainíi dire armés , au lieu que l'hom–
" me eíl de toute part environné de foibleífe, n'ayant
" pour armes ni dents ni griffes ; mais les forces qui
" lui manquent quand il fe trouve feul , illes trollv e
" en s'uni{[ant avec fes femblables ; la raifon , pour
) le dédommager , lui a donné deux chofes qui lui
)) rendent fa fupériorité fu r les animaux, je veux
" dire la raifon
&
la fociabilité , par Ol! celui qui
»
feul ne pouvoit réíiíl:er a perfonne, devient le tout ;
»
laJociété
lui donne l'empire fur les autres animaux ;
" la
Jociété
fait que non content de l'élement Ol! il eíl:
, >1
né , il étend fon domaine jufque fm la mer ; c'eíl
)) la meme union qui lui fou rnit des remedes dans fes
)) maladies, des fecours dans fa vieilleffe , du fou–
)) lagement a fes douleurs
&
a
fes chagríns ; c'eíl
el–
>1
le qui 'le met, pour ainíi dire , en état de braver la
>1
forrune. Otez la focíabilité , vous détruirez l'u–
t)
níon du genre humain , d'Otl dépend la cOl1ferva–
" tion
&
tout le bonheur de la vie.
»)
LaJociété
étant íi néceíTaire
a
l'homme , Dieu 1ui a
, auffi donné une coníl:itution, des facultés, des talens
qui le rendent tres-propre a cet état ; telle eíl, par
exemple la faculté de la parole , qui nous donne le
moyen d; communiquer nos penfées avec tam de fa–
cilité
&
de promptitude ,
&
qt~i
horsd; la
{ociété
ne
feroitd'aucun ufage. On peut dlre la meme chofe du
penchant.
a
l'~mitation,
&
de ce merveilleux ,mécha–
nifme qU! falt que les palIions
&
toutes les lmpref–
fions de l'ame , fe cominuniquent
fi
aifément d'un
s
O
e
cerveau
a
l'autre; il fuffit qu'un homme paroiífe ému,'
pour nouS émouvoir
&
nous attendrir pour lui :
ho~
mofum , hllfllani a me nihil aLienuTll puto.
Si qllelqu' un
vous aborde avec la joie peinte fur le viiage, il exci–
te en nous un fentiment de joie ; les larmes d'un in–
connu nous rouchent, avant meme que nous en fa–
chions la caufe ,
&
les cris d'un homme qui ne tient
a
nous que par l'humanité , nous fom comir
a
fon fe–
COLLrS, par un mouvement machinal qui précede tou–
te délíbération. Ce n'eíl: pas tout, nous voyons que
la nature a voulu partager
&
diílribuer différemment
les talens entre les hommes , en donnant aux uns une
aptitude de bien fa ire cerraines chofes , qui font com–
me impoJIibles
a
d'atttres ; tandis que ceux-ci , él leur
tour, ont une induílrie qu'elle a refufée aux pre–
miers; ainíi, íi les befoins naturels des hommes les
font. dépendre les uns des autres , la diveríité des
talens qui les rend propres
a
s'aider mutuellement ,
les lie
&
les unit. Ce iont la autant d'indices bien
manifeíles de la deíhnation de l'homme pour la
!a–
ciété.
Mais íi nous coñfu1tons notre penchant, nous fen–
tirons auJIi que notre creur fe porte naturellement
a
fouhaiter la compagnie de nos iemblables ,
&
a
crain-.
dre une folitude entiere comme un état d'abandon &
d'ennui. Que íi l'on recherche d'oll nous vient cette
indinatíon liante
&
fo ciable,on trouvera qll'elle nous
a été donnée tres-a-propos par l'auteur de notre etre,
paree que c'eíl dans la
Jociétl
que l'hoffi.Q1e trouv e
le remede él la plllpart de fes befoins ,
&
l'occaíion
d'exercer la plOpart de fes fa oultés ; c'eíl:
la ,
fur–
tout , qu'il peut éprouver
&
manifeíler ces fenti–
mens , auxquels la nature a attaché tant de douceur .
la biew¡eillance , l'amitié , la compaffion, la généro–
íité : car tel eíl: le charme de ces affeétions fociables,
que de-lit naiífent nos plaiíi rs les plus purs. Rien en
effet de
fi
fatisfaifant ni de íi flatteur, que de penfer
que l'on mérite l'eílime
&
l'amitié d'autrui; la fcien–
ce acquiert un n0uveau prix, quand elle peut fe pro–
duire au dehors;
&
jamais la joie n'eíl plus vive que
lorfqu'on peur la faire éclater aux yeux des autres ,
ou la répandre dans le fein d'un ami; elle redouble
en fe communiquant, paree qu'él notre propre fatis–
faétion fe joint 1'agr 'able idée que nous en caufons
auffi aux autres ,
&
que par-la nous les attachons
davantage
a
nous ; le chagrin au contraire dímilllle
&
s'adollcit , en le partageant avec quelqu'un, com–
me un fardeau s'allege quanJ une perfonne offi cieufe
nous aide él le portero Ainíi, tournous invite
a
l'état
de
Jociéú ;
le befoin nOllS en faít une néceffité le
penchant nous en fait un plaííir,
&
les difpoíitions
que nousy apportons natllrellement, nOllSmontrent
que c'eíl en effet l'intention de notre créateur. Si
le
chrifrianifme canonife des foiitaíres, il ne leur en
fait pas moins une fupreme loi de la charité
&
de la
juílice,
&
pa r~la
illeur {uppofe un rapport e{[entiel
avec le procham ; mais fans nous arreter
a
l'état Olt
les hommes peuvent etre élevés , par des lumíeres
furnatmelles , coníidérons-les ici entant qu'ils {ont
conduits par la raifon humaine.
Toute l'économie de la
f ociété
humaine eíl ap–
puyée fur ce principe général
&
íimple :
l e v eux
ém
/¡eureux ; maisj e vis avec des hommes qui, commemoi ,
'YcuLent élre iLeureu::c égaLement chacun de leur cóté :
cherc/wns Le !/loyen de procurer notre bon/uur, elZ procu–
rant !e Leur, ou da moins f ans y jamais naire.
Nous
trouvons ce principe gravé dans notre creur ; íi d'un
coté , le Créareur a mis l'amour de nous-memes ,
de l'autre , la meme main ya imprimé un {entiment
de
bienveil~anc e
pour nos lemblables; ces deux pen–
chans, quolque diílinéts l'un de l'autre, n'ont pour–
tant rien d'oppofé :
&
Di.euqui les a ¡pis en nous ,
les a deíl:inés
¡\
agir de concert, pOUl' s'entr'aider ,
&
nullement pom ie détruire; auJIi les
C~l¡,rS
bien filirs