SEV
avantutes de don Quichotte,
&
c'e1t ce que nOtis
avons de plus amuCant.
Des que cet ouvtage parut en E.fpagne , on Iui fit
un accueil qui n'avoit point eu d'exemple; car il fut
univerfel, che:z. les gi"ands, le militaire,
&
les gens
de letttes.
tJ
n jour que Philippe III. étoit fur un
hal~
con du palais de Madrid
~
il appers;ut un étudiant fm
le bord du Manr;anares • qui, en li[ant , quittoit de
tems en tems [a leaure,
&
fe frappoi t le front avec
des marques extraordlnaires de plaiíir :
H
cet homme
), efr fou , dit le roi aux cotlrtiCans qui étoient aupres
), de lui , ou bien il lit don Quichotte. Le prince
avoit rai{on , c'étoit effeaivement la le livre que l'é–
tudiant li(oit avec tant de joie.
En
1
Ó
1
4, Cervantes fit imprimer fon
yoysgt du
Parnaffi,
qui n'efr point un éloge des poetes efpa–
gnols de ron tems, mais une fatyre ingénieuíe , com–
me celle de éfar Caporali, qui porte le meme ti–
tre, en efr une des poetes italiens.
En 16)
5
il publia quelques comédies
&
farces
nouvelles, les unes en vers , les autres en profe. Il
y
joignit une préface tres-curieufe fur l'origine
&
les
progres du drar)1atique e(pagl1ol; cependant les co–
médiens ne jouerent point les nouvelles pieces de
l'auteur ,
&
c~efr
lui meme qui nous l'apprend avec
la nalveté ordinaire.
,( Il ya, dit-il, quelques années qu'étant revenu
~,
¡\
mes anciens amufemens,
&
m'imaginant que les
), chofes étoient encore fur le meme pié, que du
" tems que mon nom faifoit du bruit; je me mis de
" nouveau
él
compo[er quelques pieces pour le théa–
" tre; mais les oi(eaux étoient dénichés ; je veux
., e1ire, que je ne trouvai plus de comédiens qui me
" les demandaífent. Je les condamnai donc
a
demeu–
" rer dans l'obfcurité. Dans le meme tems , un li–
" braire m'aílúra qll'il me les allroit achetées , íi un
~,
célebre comédien ne lui avoit dit, que ron pou–
.,
voit efpérer que ma profe réuffiroit, mais non pas
" mes verso Alors, je me dis
a
moi-meme , ou je
" fuis bien déchll, ou les tems font devenus meil–
" leurs, quoique cela foit contraire au fentiment
" commun , felo n lequel on fait toujours l'éloge des
~,
tems paífés. Je revis cependant mes comédies
~
.,
&
je n'en trouvai aucune aífez mauvaiíe , pour
,) qu'elle ne putappelLer de la déciíion de cecomédien,
" au jugement d'autres aaeurs moins difficiles. Dans
" cette idée , je les donnai
a
un libraire qui les im–
" prima. Il m' n offrit une (omme raifonnable,
&
), je p 'ís fon argento Je fouhaiterois qu'elles fuífent
" €xcellentes; du moins j'eípere qu'elles {eront pa{–
tt
fables. Vous verr z bien-tot, cher leéteur , ce que
" c'eft; íi vous y trouvez du bon,
&
que vous ren–
" contriez mon comédien de mauvaife humeur,
" priez-le de ma part de n'etre pas íi prompt
a
faire
" injl1re aux gens; qu'il examine murement mes
" pieces, ji n'y trouvera ni ridicule , ni pauvreté ;
" lem d '(auts font cachés ; la veríificanon efr forta–
" ble au comique ;
&
le langage convient aux per–
., fonnages qUl y paroifrent. Si tout cela ne le con–
" tente pas , jc lui recommande une plece
a
laquelle
" je na aille, intitul' e
l'abus de juger
fUf
l'étiqueue,
" quí , íi je ne me trompe, ne peut manquer de
" plaire. En attendant , Dieu lui donne la {anté,
&
., a
moi de la patience.
Il fe div rtit encore
a
compo(er quelques hifroi–
rietes, qu'il pnblia
fOllS
le tirre de
novdas
,~'mpLares,
• qu'il dédia au íeignenr de L mos. (( Votre elCcel–
" lence, lui marque-t-il, faura que je lui envoie
, douz cont s; quoique je ne foi pas dans le gOl'¡t
d'en débiter ,
11
'anmoins, j'oleroi les mettre aa
" nombre d s meilleurs, íi ce n' 'toit pas mon ou–
~)
vrage
H.
w'
I\
parle ainÍl dans fa préface: ( Je vous avertis,
" gr tieux 1 eur , qué v us ne trouverez rien ici
~
SEV
t
31.'-
»
dont
Ol'l
puiífe abl,lfer ; j'intitule n'les i'lóuVeiles
~
),
exempLair.:s,
parce que, íi vous y preñez gai"éle
~
)t
il n'en en aucune qlli n'offre quelque exemple
't
lItile. J'ai
e~l
deífein d'amllfer fans danger,
&
les
" amllfemens mnocen.s font,:
a
coup
fíh,
légirimes.
" On ne pellt pas tOllJours etre OCCllp
~
de la priere,
" de la méditation ", ou des affaires : il fclllt des tems
), de ré·c1·éation
pourdélaífer1 'efprit~
&
réparer fes
>,
forces ; c'efr dans cette vue qu'on a des bois eles
" fontaines
&
des jardins cultivés. La leatire
q~te
je
>,
vous offre, ne peut exciter de paffion críminelle.
>,
Il ne co?vient,Pas
él
un
ho~me
de I?on age; qui
" touche a fa fOlxante-quatneme annee , de badinet
>,
avec l'autre vie.
>'.
Co~m~
(al fait cet ouvrage par .S,oltt , je n'al
»
tIen neglIge pour le mettre en état de plaire
~
&
"
j'a~
q.ue~ql~e
gloire
a
djre?
~ue
je fuis le premier
t)
qlll ale ecnt des contes ongmaux en eípagnol; ils
" (ont tous t'irés de mon fonds,
&
il n'en
ea
aucun
), imité ni puifé dans d'autres écrivaíns. Mon imagi.
., nation les a enfc1.ntés , ma plume les a mis fuI'
re
" papier,
&
l'impreffion va les faire croitre
>h
11 Y avoit long-tems que Cervantes
s~occupoit
a.
un autre livre d'imagination , intitulé les
travaux
de
Peifzle
6·
Sigifmonde,
qu'il finit immédiatement avant
fa mort, arrivée en 1616. Il étoit alors attaqué d'une
malaclie qui ne l'empecha ras cl'éctire ce roman,
&
les petites anecdotes qui s'y tapportoient. Comme
nous n'avons point d'autre hifrorien que lui-meme
&
qu 'il raconte tout avec gra¡;:e : voyons ce qu'iÍ
nous dit
a
ce fujet.
n
s'exprime en ces termes.
"
~l
arriva, mon cher
leae~r
, que comme je
ve-–
»
nOls avec dettx de mes amIS de la fameu(€ ville
,t
d'E{quivias, je dis
fomeufl
par mille endroits;
" premierement pár fes familles ilIufrres; en fecond
»
lieu, par fes exceIlens vins, &ainíi du refre ; j'en–
" tendís quelqu'un galoper derriere nous, comme
" pour nOtlS attraper •
a
ce qu'il me paroiífoit;
&
ce
>,
cavalier ne nOlls permit pas d'en dOllter, nous
>t
ayant crié de n'aller pas íi vite. NOlls !'attendimes
" donc,
&
ñous vimes approcher monté [ur une
" aneíre un étudiant gris
(j'
entends qu\1 étoit tout
" habillé de gris ) : il avoit des botines femblables el
" celles que portent
le~
moiífonneurs, pour empe-
cher le blé de lelir piqüer les jamnes ; des [ouliers
,) rOllds, une épée
&
un collet noit , que le mOllve–
" ment de fa mor'lture fai(oit fouvent tourner de coté
" &
d'alttre , quelqlle peine qu'il (e
donn~t ~
le met–
" tre droit. Vos feigrieuties , I10us dit-il , vorit ap"
" paremment (olliciter qllelque emploi ou bénéfice
" a
la cour; fans doute que (ón éminenéCi! efr
él
To–
., lede, ou du moins le roi , PlIi(que vous allez íi vi–
" te. Franchement j'ai eu bieh de la peine
a
vous
"
atteindre,quoiqu~
mon ane ait
p'1~ts
d'une fois paíf6
., pour un bon courenr.
A
ce dl(cours un de mes
" compagnons répondit; le che'véll du fei gnellr
Cer~
,t
vantes en eft la caufe, c'efr un drole qui n'aime
., pas
a
aller d cemento
" A
peine mon homme eut-il entendu le nom de
" Cervantes, qu'il fauta
a
has de fa rhonture, eri
»
fai(ant tomber fon coulfll1 d'un coté ,
&
fon porte–
>t
manteau de l'autte (car il avoit tout cet équipage
t,
avec lui) ; il vint
a
moi ,
&
me prenant par la
" main gauche; oui, óui, dit-il, c'efr ici le fameux,
" le diverti!rant écrivain, le favori des mu(es! Me
" voyant complimenter íi magnifiquement, je jugeai
,t
qul¡l y auroit de l'impo!iteífe
el
ne pas lui
tém.oi~
" gner quelque'reconnoiífance de fes louanges; je
»
l',tmbraífai
(&
lui 6s tourner fon collet par mon
,1
~jccolade ),
&
je l'aílltrai qu'il éroít dans la meme
• -rp
r {ur mon fujet , que d autres per[onnes , qui
>;
me vouloient du bien. Je (llis , lui dis-je , Cervan–
" tes , il efr vrai , mais non le
favo~i
des mu(es, ni
" riert de
tout.ceque vous m'avez dit de beau.
Ayez