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SEN

exterieuts de la vue

&

de l'ouie, oH non, cela n'y

fait rien : on devroít plutot les appeller

unfins in–

tune ,

ou

un fintiment imérieur

,

ne Ita -ce feulement

qtle pour les diftinguer des auo'es fen{ations de la

vue

&

de l'ouie, que I'on peut avoir fans aucune

perception de beauté

&

d'harmonie.

Ici fe préfente une queíEon , favoir , fi les

fins

font

pour nous une regle de .vérité. Cela dépend de la ma–

niere dont nous les envifageoHS. Quand nous VOtt–

lons donner aux autres la plus grande preuve qu'ils

attendent de nous touchant la vérité d'une chofe,

nous difons que nOI1S I'avons vue de nos yeux ;

&

fi

l'on fuppo(e que nous l'avons vue en effet, on ne

p eut manquer d'y ajourer foi; le témoignage des

fins

eí!: donc par cet endroit un e premiere vérité, puif–

qu'alors il tient lieu de prernier principe , fans qu'on

remonte, ou qu'on penle vouloir remonter plus haut:

e'eí!: de quoi tous conviennent unanimement. D 'un

autre coté , tous convienn ent aufli que les

fins

font

trompeurs ;

&

l'expérien e ne permet pas d'en dou–

ter. Cependant

íi

nous fommes certains d'une chofe

des-la que nous l'avons vue , comment lefln; de la

vue peut-il nous ¡romper ;

&

s'il peut nous tromper,

eomment

fommes-nou~

certains d'une chofe pour l'a–

voir vue?

La réponfe ordináire

a

cette difficulté , c'eí!: que

nptre

\fU

e

&

nos

¡ens

nous peuvent tromper, quand

ils ne font pas exercés avec les conditions requifes ;

favoir que l'organe foil bien difpofé ,

&

que l'objet

foil dans une juí!:e diHance. Mais ce n'eí!: rien dire la..

En

eRet

,

a

quoi

lert

de marquer pour des regles qtll

jufiiñent le témoignage de no,s

fins ,

des conditíons

que nous ne faurions nous-memes juí!:ifier , pour fa–

voir quand elles fe rencontrent? Quelle regle infail–

lible me donne-t-on pour juger que l'organe de ma

vue , de mon ouie, de man odora!, efi a luellement

bien di{pofé? Nos organes ne nous donnent une cero

titude parf.l ite que quand ils font parfaitemer.t for_

més; mais ils r.e le lont que pour des tempéramens

parfaits;

&

comme ceux-ci font tres-rares , il s'en–

fuit qu'il n'eít prefque aucun de nos organes qui ne

foit défe.:tueux par quelqne endroit.

Cependant quel9ue évidente que cette co,:clufion

paroiífe, elle ne detruit point une autre

vé~té ,

fa–

voir que I'on eí!: certain de ce que I'on VOlt. Cette

contrariété montre qu'on a laiíle ici quelque chofe

a

démeler, puifqu'une maxime fenfée ne {amoit etre

contraire

a

une maxime fenfée. Pour developper la

chofe, examinons en quoi

nosJ ens

ne (ont point re–

gle de vérité ,

&

en quoi ils le {om.

.

.

1°.

Nos fens ne nous apprennent pOlflt en quol

confifie cette difpofi rion des corps appellée

quaufé,

qui fai t telle impreffion fu r moi. J'apperc;:ois

é~idem­

ment qll'il fe trouve dans un tel corps une difpofi–

lion qui caufe en moi le fentiment de chaleur

&

de

pefanteur; mais cette..difpofition, dans ce qu'elle eí!:

en elle-m@me, échappe ordinairement

a

mes

fens,

&

fopven t meme

a

ma raifon. l 'entrevois qu'avec

eertain arr,angcment

&

certain mouvement dans les

plus petites parties de ce corps, il (e trouve de la

convenance entre ce corps

&

l'impreflion qu'il fait

(ur moi. Ainfi je conje.:tttre que la flculté qu'a le

(0-

leíl d'exciter en moi un femiment de IUlIliere, con–

fií!:e dans certain mouvemem ou impulfion de petirs

corps au-travers des pores de l'air vers la rétine de

mon ceil ;mais c'efi cette faculté meme, ollmesyeux

ne voyent goutte,

&

Ol!

ma raifon ne voit guere da·

vantage.

2°.

Les

fins

ne nous rendent aucun témoignage

d'un nombre infini de difpofirions meme antérieures

qui fe trouvent dans les objets,

&

qui (urpaíl'ent la

{agacité de notre vue , de notre otúe, de notre odo–

rar. La chofe fe vériñe manifeítement par les microf–

copes; ils nous ont faít découvrir dans l'ohjet de la

Tome XI'.

SEN

vue une infi nit,é de dif¡Jofitions extérieures, qui

n:arquent une .egale dltférence dans les parties inté–

n eures ,

&

qudorment auta¡;¡t de différentes quali.

tés. D es microfcopes plus parfd its nous feroient d

'~

couvrir d'autres difpofitions , dont nous n'avons ni

la perception ni l'idée.

Les

¡ens

n~

nous apprennem point l'imprefli on

p reclfe qUl (e falt par leur canal en d'autres hommes

que nous. Ces effets dépendent de la difpofirion de

nos organes , laquelIe eí!: ¡j·peu·pres aufli différente

dans les hommes que lems tempéramens ou leurs vi–

fages ; une meme qualité extérieure doit fai re auíIi

différentes impreflions de fenfarion en différens hom>

':les : c'eí!: ce que l'on vOlt tous les jours. La meme

liqueur caufe dans moi une fenfation defagréable ,

&

dans une autre une fenfation agréable ; je ne llUis

donc m'a{[urer que tel corps falle précifément fur

tout autre que moi , l'impreflion qu'il fait fur moi–

meme.

l e

ne puis favoir auffi fi ce qui eO: couleu!'

blanche pour moi, n'eíl: point du rOllge pour un au–

tre que pour mOl.

4"· La rai(on

&

l'expérience nous apprenant que

les cofps (ont dans un mouvement ou chano:emlnt

continuel, quoique fouvent imperceptible

da;~

leurs

plus petites parries , nous ne pouvons juger sl'irement

qu'un corps d'un jour

a

l'autre ait précifément la

meme qualité , ou la meme difpofition

a

faire l'im–

preflion qu'il faifoÍt auparavam litr nous ; de fon co–

té il lui arrive de l'altérarion ,

&

il m'en arrive du

mien.

l e

pourrai bien m'appercevoir du chanaement

d'impreffion, mais de

la

vOlr 11 quoi il f:Out

l'art~'ibuer

íi

c'el1

a

l'objet ou

a

moi , c'eíl: ce que je ne puisfai:

re par le (eul témoignage de l'organe de mes

fins.

5°· Nous ne pouvons juger par lesfens ni de la

grandellr abfol ue des corps , ni de leur mouvement

abfolu. La raifon en eH bien cIaire. Comme nos yeux

ne font point difpofés de la meme fac;:on , nous ne de–

vons pas avoir .la meme idée fenfible de l'étendue

d'un corps. Nous devons confidérer que nos yeux ne

(ont que des lunettes naturelles , que leurs humeurs

fo nt le meme effet que les verres dans les lunettes

&

que (elon la fi[Hation qu'ils gardent entr'eux ,

&.

feJon la figure du cryí!:allin

&

de Ion éloignement de

la rétine , nous vbyons les objets différemment ; de

fO'rte qu'on ne peut pas a(furer qu'i l y ait <}lt monde

deux hommes qlli les voyent précifement de la me.

m~ ~r~ndeur,

ou compofés de {emblables parries ,

pUlÍqu on ne peut pas aífurer que leurs y eux foient

tout-a-fait (emblables. Une conféquence auffi natu–

relle , c'eO: que nous ne pouvons con nOltre la gran–

deu r véritable ou abfolue des mouvemens du corps

mais (eulement le rapport que ces mouvemens

on~

les

~ns

a.vec les autres.

11

eO: conítant que nous ne

faunons Juger de la grandeur d'un mouv ment d'un

corps que par la longuem de l'efpace que ce meme

corps a parcouru. Ainfi puifque nos yeux ne nous

font poi?t

~oir ~a vé~~table

longtfeur de l'efpace par.

couru ,

11

s enfll1t qUlls ne peuve nt pas nous faire

connoitre la véritable grandellr du mouvement.

Voyons maintenant ce

~ui

peut nous tenir lieu de

premieresvérités dans le temoignage de

nosfins.

On

peut réduire principalement

a

trois chefs les premie–

res vérités dont nosfim no

liS

infiruifent.

1° .

Ils

rap–

ponent toujours tres-fi delement ce qui lem paroit.

2°.

Ce qui leur paroit eH pre(que toujours conforme

a

la vérité dans les chofes qll'il importe aux hornmes

e~ gén~ral

defavo:r,

a

moins qu'il ne s'offreqllelque

fUJet riufonnable d en douter. 3°. On peut difcerner

ai(ément

,qua~d

le témoignage des

flns

eí!: douteux ,

par les reflexlOns que nous marquerons.

1°.

Lesfens

rapportent toujours fidellement ce qui

leur paroit ; la chofe eí!: manifefie , pu ifque ce font

des fucultés naturelles qui agiílent par l'imprc fliOIl

néceíTaire des objets ,

a

laquelle le rapport des

fens :

0 ,

'