xjv
E
L O G E
que l'eau de la pifcine fut agitée en fa faveur. Cette Lettre
touch~nte
eut l'effet qu'
elle devoit avoir
a
la
Cour, o
u
les intérets perfonnels étouffent tour autre iotére t ,
ou le mérite a des ami s ti mides qui le fervent foiblement,
&
des ennemis ardens,
attentifs aux occaúons de luí t1Uire. Les fervices de M. du :Marfais , fa vieille!Te, fes
intirrnités , les prieres de fon ami, ne pureut rien obtenir. On convint de la jufl:ice
de fes demandes; on Jui térno igna beaucoup d'envie de l'obliger; ce fut tour le fruit
qu'il retira de la bonne volonté apparente qu'on luí marquoit. La
plus grande mJure
que les gens en place puifient faire a un homrne de Lettres , ce n'
e.fl: pas de lui re–
fufer l'appui qu 'il a droit d'attendre d'eux; c'efl: de le laiífer dans l'
oppreffion ou dans
l'oubli, en voui.lnt paro!tre fes proteél:eurs. L'indiflérence pour les talens ne Les of–
fenfe pas touj ours , rnais elle les révoltc quand elle cherche
a
fe couvrir d' un fame
air d'intéret; heureufement elle fe démafque bienrót elle-meme,
&
les moins clair-
voyans n'y
f~:mt
pas long-teros trompés.
·
M. du Marfais, avec moins de délicateífe
&
plus de talent pour fe faire valoir,
eut peut-etre trouvé chez quelques Citoyens riches
&
généreux, les fecours <:JU'on luí
refufoit d 'ailleurs. Mais il avoit aífez vécu pour apprendre
a
redouter les bienfaits ,
quand l'amitié n'en efl: pas le príncipe, ou quand on ne peut efl:imer la main doot ils
viennent. C 'ell: paree qu'il étoit tres-capable de reconnoiffance,
&
qu 'il en connoif–
foit tous les devoirs, qu'il ne vouloit pas placer ce fentiment au halard . Il
racontoí~
a
cette occafion avec une forre de gaieté que fes malheurs ne lui avoient poínt fait
perdre, un trait que Moliere n'eut pas laiífé échapper, s'il eut pu le conno1tre:
M. du–
).1arjais,
difoit un riche Avare,
efl
tw
fort homdte hornme; it
y
a quarante
a1u
qr/iJ
efl mo1¡, ami, it efl pattvre,
~
it
?te
m'a jamais rim dema1zdé.
Sur la fin de fa vie il crut pouvoir fe promettre des jours un peu plus heureux;
fon fils, qui avoít fait une perite fortune au Cáp Frans;ois, oü il rnourut il
y
a quel–
ques annécs, lui don na par la difpoútion de fon tefl:all!ent l'ufufruit du bien qu 'illaif–
foit. Peut-et•re un pere avoit-il droit d 'en atrendre davantage; mais c'en étoit aífez
pour un vieilbrd
&
pour un Philofophe; cependant la dill:ance des lieux
&
le peu de -
teros qu'il furvécut
a
fon fils, ne luí pennirent de toucber qu'une perite partie de ce
bien. Dans ces ci rconfl:ances M. le Comte de Lauraguais, avanrageufement connu
a
1'
r\cad émie des Sciences par difrerens Mémoires qu'il lui a préfentés , eut occafion de
voir M. du Marfais,
&
fut ronché de fa fituation;
il
lui afsu ra une penúon de
1ooo.
liv. dont il a continué une partie
a
une perfonne qui avoit eu foin de la vieilleífe du
Ph ilofophe.: aél:ion de générofité qui aura panni nous plus d'éloges que d 'imitateurs.
Norre 1lluihe Collegue, quoiqu'agé de pres de quatre-vingt ans, paroiífoit pouvoir
fe promettre encare quelques années de vie, lorfqu'il tomba malade
au moisde Juin
de l'année derniere. Il s'appen;u t bientót du danger ou il étoit,
&
demao.dales Sa–
cremens, qu'il rec;:ut avec beaucoup de préfence d'efprít
&
de tran
quillité: ilvít ap–
procher la mort en fage qui avoit apprís
a
ne la point craindre,
&
en l10mrne qui
n 'avoit pas lieu de regretter la vie. La République des Lettres le perdit le
II
Juin
I
756, apres une maladie de trois ou quatre jours.
.
,
Les 9ualirés dominantes de fon efprit étoient
~a
nerreré
&
la JUíleífe, porrées
1
une
&
1
:mtre au plus haut deg1·é. Son cara8ere érotr doux
&
tranqmlle;
&
fon ame,
toujo.urs égale' paroinoir peu agitée par les di fle rens évenemens de la vi e' meme par
ceux qui fernbloient devoir l'atfeéter le plus. Quoiqu'accoütumé
a
recevoir des loüan- .
ges, il en étoi t tres-tbté ; foibleife,
li
c'en eH une, pardonnable aux Philofophes me–
mes,
&
bien nnrurelle
á
1111
homme de Lettres yuí n'avoir point recueilli d 'aut re ré–
compenfe d
e fes travaux. Peu jaloux d' en impofer par les dehors fouvent groiliers
d 'une fauife
modefl.ie, il laifloit enrrevoir fans peine l'opinion avantageufe qu 'il avoit
de fes
ÜU\
r
ages; mais fi Jon amour-propre n'étoit pas toUJOurs caché, il fe montroit
fous une forme qui ne pouvoit cboquer celui des autt·es. Son extérieur
&
fes difcours
n ·annon~oient
pas toujours ce qu 'íl étoit; il a1•oit l'efprit plus fage que · brillanr, la
marche plus fure que rapide,
&
plus propre aux matieres qui dé pendent de la di–
fcuffion
&
de l'analyfe, gu'a celles qni demandent une impreilion vive
&
prompte.
L 'habírude qu'!l avoit pr ife d 'envifager chaque idée par toutes fes faces ,
&
la néceilité
ou il s'étoit trom·é de pa rler prefque toute fa vi e a des en fans, Iui avoient fait contra–
éter dans h converfation une dlffulion qui paífoit quelquefoís dans fes Ecrits,
&
qu'on
y _remarqua fur-tout a-mefure qu 'il
avan~a
en age. Souvent dans fes entreriens il fai–
fOJt précéder ce qu 'il avoír
a
dire par des préambules dont on ne voyoít pas d'abord
le but, mais ?on r on appercevoir enfuite le motif,
&
quelquefois la néceffité. Son
peu. de .connolitmce des homrnes , ion peu d'ufage de tt·ai ter avec eux,
&
fa facilité
á
dtre hbrernenr ce qu' il penfoir fur routes fo rres de fujets, luí donnoient une na·i–
veté fouvent plaífanre ' qui eut paífé pour fimplicité dans tour autre que lui;
&
on eut
.
pu