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PÉROU ET BOLIVIE,
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mer toutes les.portes, a l'imprudence
d'aller au-devant des ennemis; au mo–
ment ou
il
leur demande quelles sont
leurs intentions,
il
tombe percé de
coups. L'instant d'aJJres, les conjurés
sont en présence de Pizarre Jui-meme,
et une lutte furieuse s'engage aussitót.
Le ·gouverneur cherche
a
empecher ses
adversaires de pé11étrer dans la salle
ou il s'est retranché, et chaque en–
nemi qu · se présente
a
la porte est tué
de sa malin. Tous les coups sont mor-
, tels, et les assaillants commencent
a
désespérer de venir
a
bout d'un pareil
antagoniste. l\fais Alcantara tombe
mort aux pieds de son beau-frere , et
les
pa~es
sont hors de comba
t.
Pizarre,
affaibli par la longueur de la lutte, ne
soutient plus que diffioilement son
bouclier et son épée. Les oonjurés s'en
aperc,¡oivent et redoublent d'éilergie;
l'un d'eux s'expose volontairement aux
coups · de J'athlete épuisé, et tandis
que le gouverneur s'acharne sur cet
adversaire isolé, les autres le frappent
aisément. Atteint d'une blessure pro–
fonde
a
la poitrine , Pizarre expire en
embrassant l'image du Christ.
Des que la nouvelle de cet événe–
ment se fut répandue dans Ja ville, un
grand nombre d'individus, qui n>at:
tendaient que ce dénofünent pour se
prononcer, se déclarerent hautement
pour Almagro. Les nrnurtriers pille–
rent préalablement le palais de Pizarre,
et s'occuperellt ensuite du désarme–
.ment de leurs ennemis. Herrada, qui
avait joué le premier role et dans le
complot et daos la scene sanglante qui
l'avait terminé,
fit
monter Almagro a
cbeval et Je conduisiJ; ainsi par toute
la ville, aux acclamations de ses com–
plices·; puis on réunit
J~
municipalité
et on l'obligea de proclamer le Jeune
don niegue gouverneur général, en
vertu de l'hérédité stipulée dans l'acte
royal qui avaít concédé
a
son pere ce
meme titre de gouverneur de la Nou–
velle-Tolede. Des s11pplices et des con–
fiscations odieuses inaugurerent le pou–
voir du nouveau dictateur. D'anciens
serviteurs res.tés fideles
a
Pizarre jus–
qu 'a ses derniers moments, furent en–
voyés
a
Ja mort. " C'était, dit Zarate,
un objet dign
e decompassion de voir
la désolation,
1.espleurs et les sanglots
des femmes et des familles de ceux
qu'on avait massacrés et dont on avait
pillé les maisons. ,, La terreur fut telle
a Lima, que personne n'osait rendre
les derniers devoirs
a
la dépouille mor–
telle de Fran1tois Pizarre, et qu'un
vieux domestique du défunt fut obligé
de se charger clandestinement de ce
soin pieux, afin de soustraire le corps
de son maitre
a
d'indignes mutila–
tions. Ainsi , tcet homme qui s'était
élevé au faite des grandeurs , apres
avofr reol'ersé
a
son profit un empire
aussi vaste qu'opulent, fut inhumé
comme un obscur crimine!, trop heu–
reux de trouver une main amie pour
luí donner Ja sépulture; exemple frap–
pant des vicissitud(;!s de la fortune et
de la fragilité du pouvoir
!
Ge erait peut-íltre ici le lieu de tra–
cer un portrait- complet de Pizarre
1
et meme d'établir un parallele entre
luí et son rival Diego d'Almagro; mais
nous craindrions de ne pas trouver
dans les historiens qui nous servent
de guides des éléments assez complets
ni ,
il
ti
ut )e dire, assez sinceres. Au–
gustin de Zarate s'est.amusé
a
ce jeu
de rhétoricien : il fait un long pané–
gyrique de Pizarre,
a
qui
il
attribue le
plus noble caractere et dont
il
fait un
héros accompli. D'apres certains actes
de ce conquérant,
il
nous est difficile
de croire qu'il réunissait en lui de si
nombreuses et si éclatantes vertus. A
nutre avis , ce grand homme, car on ne
peut tui refuser ce noin , aux qualités
éminentes qui distinguent l'homme
de guerre et l'aventurier du seizieme
siecle, c'est-il-dire l'audace, le cou–
rage et la persévérance, joignait les
vices les plus odieux, tels que J'avarice
poussée jusqu'il la cupidité la plus ef–
frénée' et une duplicité melée d'ins–
tincts de b11rbarie. Nous n'avons pas
besoin de résumer les faits sur lesquels
se fonde ce jugement
¡
le Jecteur se les
rappelle sans doute assez bien pour
décider si notre appréciation est con–
forme
a
la
vé~ité
et
a
la justice.
Qu'elques jours Jlpres la mort de Pi–
zarre , le jeune Almagro se trouva
a
la
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