Table of Contents Table of Contents
Previous Page  933 / 960 Next Page
Information
Show Menu
Previous Page 933 / 960 Next Page
Page Background

EXP

de tous les poetes Grecs, celui qui expofe fes fujets de

la maniere la plus fimple & la plus frappante . Q uoi

de plus irnpo fant en effet que de voir dans

Les Eu–

ménides ,

a

l'ouvertttre de la fcene , O refie envi–

ronné des furies endormies par

A

pollon, de le voir,

la tete ceinte du bandeau des fupplians , tenant une

branche d'olivier d'une main,

&

de l'autre une épée

encore

teinte du fang de fa mere! Quoi de plus im–

pofant que de voir dans

les Pet{es

une aífemblée de

vieillards attendre avec inquiétu de des nouvelles de

leur roí ,

&

de cette armée innombrable qu'il a

menée clans la Grece;

&

s'entretenir de la grandeur

&

du danger de cette entreprife. Dans la tragédie

des

fept Chefs,

le début efi encore plus en aétion .

Etéode, au moment de voir fa ville affiégée, pa–

roit entouré de fon peuple , d'hommes , de fem–

mes

&

d'enfans; il leur annonce l'arrivée d'une

armée nombreufe qui les menace,

&

il exhorte

!es

uns

a

bien défendre la ville ,

¡es

autres

a

faxre

des.facrifices & des prieres aux diem,. Arrive un de

fes efpions qui a reconnu l'armée des Argiens ;

(( témoin, dit-il, de ce queje viens vous raconter,

,

j'ai vu Ieurs fept chefs immoler un taureau fur un

" bouclier, tremper leurs mains dans le fang,

&

faire

" d'horribles fermens par le dieu Mars

&

par Bello–

,. ne, ou qu'ils détruiront de fond en comble la ville

, de Cadmus, o u qu'ils périront fous fes murs; la

"pitié efi bannie de leur bouche

&

de leur creur;

, leur courage s'enflamme comme celui des lions a

>t

l'approche du combat "·

Le théfttre grec a plufieurs exemple de l'art d'ex–

pofer en aélion: c'efi ainfi que dans

l'Ore.fte

d'Euri-

. p ide on voit Eleétre affife

a

coté du lit de fon frere

endormi,

&

pour un rnoment délivré du tourment

-de fes remords; on la voit, dis-je, verfer des larmes,

&

fe retracer, depuis Tantale jufqu'a Oreile, tous

les malheurs de fa famille , tous les crímes

d ~

fes

parens.

Le

thé~tre

moderne,

i1

faut l'avoúer, a peu

d'ex–

pojitions

de cetre force. Mais en cela meme

qu'~lles

font moins pathétiques , elles font plus adroltes.

Car une des premieres regles du théatre efi que

l'intéret aille en croiífant; & apres une

expojition

auffi terrible , auffi touchante, il feroit difficile du–

rant cinq a8:es de

.gradu~! I~s" fituati~ns.

A!I?íi nos

poetes. au lieu de Jetter

1

rnteret dans

1

expojztzon,

fe

contentent de

l'y

annoncer

&

de l'y faire preífentir.

Racine en imitant

l'expofúion

cl'ELtripide dans

lplzi.

génie,

laiífe entrevoir ce qui fe paífe clans

l'am~

d'A–

gamemnon:

Non,

ttt

ne mourras point, je ny puis confentir.

mais les mouvemens de la nature font encere

rete~

nus ; fes efforts déchirans font réfervés pour le

moment ou il embraífera fa ñlle,

Otl

il ordonnera

qu'elle foit arrachée des bras d'une mere,

&

con–

duite

a

l'autel.

L'

expofition

fe fait

0':1

to;lt .d'un cou,p ou fu.cceffi:

vement, felon que le fu jet

1

extge; tantotle VOile qm

dérobe au fpeél:ateur l'état préfent des chofes, fe

leve en un infiant ; tantot

il

efi de fcene en fcene

infenfiblement foulevé : c'efi ainfi qué dans

H éra·

ctius

le fecret de l'aélion fe développe d'aél:e en aéte

&

n'efi pleinement éclairci qu'au moment de la ca–

tafirophe; au lieu que dans le

Cid,

des la premiere

fcene tout eft connu.

Dans les tragédies

a

double int:igue,

1'

expojition

efi nécef.fairement double ,

&

Racme efi aífez dans

l'ufage d'en réferver un·e ·partie pour le fecond aéte:

for·mule qui a mis dans fes fables un peu trop d'uni–

formité.

Les

fables dont le fond efi un

intér~t

public,

'donnent communément lieu

a

de belles

expofitions'

J?.arce que.

l:intéret

pnbljc;

ne

c¡\~y~nt

pas etre la fource

EXP

du pathétique

;

oo peut l'employer fans m ·nage–

ment d

S

la premiere fcene a donner de l'importance

&

de la majefté

a

l'aaion : ainfi deux des plus beaux

modeles

d'expojition

fur notre théatre, font la pre–

miere fcene de la mort de Pompée ,

&

le pr mier

aéte de Brutus.

La plus froide, la plus pénible, la plus longue ;

&

en meme tems la plus obfcure de toutes les

expo·

fitions ,

eft celle de Rodogune. Elle efi longue , obf–

cure

&

pénible, paree que le trait d'hifioire dont il

s'agit n'étant pas connu, il a fatlu toü t dire

~

que les

fairs en font compliqués ,

&

les noms memes inou is

pour le plus grand no

mbre

des fp eétateurs . Elle

eíl_froide non-feulemelílt p.ar fa lenteur laborieufe,

mais par l'indifférence réci.proque des deux perfon–

nages qui font en fcene

~

lefquels ne font, ni l'un ni

l'autre, intéreifés dans

1

'aétion que comme íimples

confide ns. C'efr quelqtle chofe d,inconcevable que

la négligence q u'a mife le grand Corneille dans

l'ex •

pojition

d'une piece qu'il r egardoit comme fon chef–

d'renvre. Supérieur

a

tout dans les cho fes de génie,

il efi to ujours·an-deífous de lui-meme dans tout ce

qui n'efi qu e de l'arr.

La célébrité d'un fu jet en rend

1'

expofition

infi...

niment plus fimple

&

plus facile: aux noms d'fphi–

génie , d'CIEdipe, de Didon, de Céfar , de Brutus,

on fait d'avance, non-feulement, quels. font les ca–

raB:eres, mais quels font les antécédens & les 1·ap–

p9rts de l'aa.ion. Voyez de combien de détails Ra–

cine a été difpenfé dans

l'expofition d'lplzigénie,

par

la connoiífance qu'on avoit déja de l'enlévement

cl'Hélené

~

du ferment fait de venger fon époux, de

ce qu'étoient Achille, Ulyífe , Agamemnon; de ce

qu'étoient

P~ris

&

Troye;

&

fuppofé que cette

fable eut été de l'invention du poete ' ou qu'il en

efn pris le fu jet dans quelque hiftorien obfcur, con–

cevez dans qttel embarras l'efit mís cet expofé de

l'avant-fcene. Lorfqu'une aél:ion n'efi pas célebre

~

il fant qu'elle foit claire

&

frappante par elle-me–

me,

&

que les perfonnages qu'on

y

emploie aient

un caraétere fi marqué, qu'a la premiere vue ils laif·

fent leur empreinte dans les efprits.

L'a ion comique ne fauroit avoit des rapports

é!ojgnes : c'efr communément

d~ns

le cercle d'une.

fociété, d'une famille qu'elle fe paife ; & par con–

{'équentl'expofition

n'en efi jamais bien clifficile. Les

intérets domefiiques, les qualités, les affeélions, les

inclinations particulieres

~

qui en font les mobiles

&

les reíforts, nous font tous familiers; un feul mot

les indique, une fcene nous rnet au fait, Dans le

comique meme cependant on voit peu.

d'e-x:poji–

tions

ingénieufes: on cite avee raifon comJne un mo–

dele rare , eelle du

T

artujfi

,

a

coté de laquehe on

peut rnettre celle du

Mij'antrope,

celle de

l'Ecole

d es·

maris ,

& celle du

Malade imaginaire,

plus

original~

pent-etre encere

&

plus comique.

Dan cette partie, comme dans toutes les autres ;

il fant avouer que Moliere eíl bien fupérieur ame

anciens. Cenx-ci n'ernployoient aucun art dans

l'ex–

pofition

de leurs comédies: tantot c'étoit un monolo-.

gue oifeux , tantot un prologue adreífé au partetre.;.,

comme dans les

Guépes

d'Arifiophane, ott l'un des.

aéteurs annonc;oit au public ce qu'il alloit

voir.

Cette.

maniere, la plus commode fans doute, mais la moins

adroite , fut apparemment celle de Cratinus

&

de

Ménandre, puifque Plaute

&

Térence, leurs imira–

teurs, l'adopterent. Nos poetes comiques,

a

leurs.

exemples , ñrent ufage dtt prologue , avant d 'avoir

appris

a

faire mieux;

&

Moliere en traitant l'uri des

fujets de Plaute , n'a pas dédaigné de prendre de

luí cette maniere d'expofer; mais gue l'on

compa~e.

le dialogue de Mercure

&

de la Nmt dans le cotru–

que

fran~oi~,

avec le fimple récit de Mercure

dap~ 1~