SEN
long ufage, que nous apprenons
a
juger desdi1htnces
par la vue ;
&
cela en examinant par le taa les corps
que nous voyons ,
&
en obfervant ces corps pla–
cés
a
différentes diftances
&
de différentes manie–
res ,. pendant que nous favons que
¡¡es
corps rt'é–
prouvent aucun changement.
Tous les hommes ont appris cet art, des leur pre–
miere cnfance; ils font continuellement óbligés de
faire attention él la diaance des objets;
&
ils appren–
nent infeníiblement
a
en juger,
&
dans la fuite, ils
fe per[uadent, que ce qui ea l'effet d'un long exer–
,cice
,ea
un don de la nature. La maniere dont fe fait
la viíion, prouve bien que la faculté de juger des
.objcts que nous voyons , eíl: un art, qu'on apprend
par l'ufage
&
par l'expérience. S'il reíl:e quelque
dOl1t~
fur ce point, il fera bientot détruit par
l'
exem–
pIe d'un jcune homme d(environ quatorze ans, qui
,né
av~ugle
, vit la lumiere pour la premiere foís.
Voici l'hiaoire teHe qu'elle eH rapportée par
M.
de
Voltaire.
" En
1729 '
M.
Chifelden, un de ces fameux
,. chirurgiens qui joignent l'adreífe de la main aux
,. plus grandes lumieres de I'efprit , ayant imaginé
" qu'on pouvoít donner la vue
a
un aveugle né, en
,. lui abaiífant ce qu'on appelle des
cataraé/es
,
qu'il
" foup90nnoit formées dans fes yeux pre[qu'au mo–
" ment de fa naiífance , il propofa l'opération, L'a–
" v eugle eut de la peine
él
y confentir. Il ne conce–
,) voit pas trop que le
flns
de la vue put beaucoup
~)
augmenteríes plaiíirs. Sans l'envie qu'on lui infpira
" d'apprendre
a
líre
&
él écrire, il n'eut point deúré
" de voir. Quoi qu'íl en foit, I'opération en fm faite
" &
réuffit. Le jeune homme d'environ
14
ans, vit
" la lumiere pour la premiere fois. Son expérience–
»
confirma tout ce que Loke
&
Barclai avoient
1i.
" bien prévu. 11 ne
dj.íl:ingua de long - tems ni gran–
" deurs , ni diíl:ances, ni fituations , ni meme hgu–
" res. Un objet d'un pouee mis devant fon reil ,
&
»
qtlí lui cachoit une mai[on, lui paroiífoit auffi
,. grand que la maifon. Tout ce qu'il voyoit, lui Lm–
.»
bloit d'abord erre fur fes yeux,
&
les toucher con:–
" me les objets du taa touchent la peau.
Ii
ne pou–
,} voit diíl:inguer ce qu'il avoit jugé rond el l'aide de
" fes majns
~
d'avec ce qu'il avoit jllgé angulaire, ni
"difcerner avec fes yeux ,
{.j
ce que fes mains
~
avoient fenti etre en haut ou en bas, étoit en
" effet en haut ou en baso Il ¿toit
fi
loin de connoitre
." les grandeurs, qu'apres avoir enhn con<¡u par la
,~
yue que fa maifon étoit plus grande que
fa
cham–
" bre, il ne concevoit pas comment la vue pouvoit
.H
donner cette idée. Ce ne fut qu'au bout de deux
" mois d'expérience, qu'il put appercevoir que les
" tableallx repréfentoient des corps folides;
&
lorf–
)) qu'apres ce long tatonnement d'un
fens
nouveau
" en lui , il eut femí que des corps
&
non des furfa–
" ces feules , étoient peints dans les tableallx ; il Y
" porta la main,
&
fut étonné de ne pojnt trouver
" avec fes mains ces corps folides , donr il commen–
" <¡oit
el
appercevoir les repréfentations. Il deman-
1>
doit quel étoit le trompeur, du
flns
du toucher ,
." ou du
flns
de la vue. "
i au témoignage des
fl'ns,
nous ajoutons l'ana–
logie, nous y trouverons une nouvelle preuve de la
vérité des chofes, L'analogie a pour fondement ce
principe extremement fimple,
que L'llnivus
eji
g (}lt–
y.m¿
par des lois généraüs
&
conflantes.
C'eíl: en vertu
de ce rai{onnement que nous admettons la regle /ui-
ante,
que des effits fembLables oflt
Les
mémes caufls.
L milité de I'analogie confiae en ce qu'elle nous
épargne mille dilcuíIions inutiles , que nous ferions
oblig ' de rép 'ter
[\.Ir
chaque corps en particulier. Il
fu "t que nou fachion que tout eH ouverné par
d s loi gén ' rales
&
coníl:antes, pour e re bien fOI1-
d 's
a
croire que I s corp qui nous parowent
r
em_
Tf1me
xr.
~""t
....
/
blatles
ortt
les memes propriétés , que les tTllits .d.'un
meme arbre O,f!t le
m~me
goút,
&c.
La certitude qui
ac~on:pag~e
1analogle ret.ombe fm les
fens
memes ,
qll1
!tll
pretent tous les
ral~o~nemens
qll'elle déduit.
En parlant de la connOlílance , nous avons dit '
qi.iefans le fecours des
fens,
les hommes ne
pour~
roient acquérir aucune connoiHance des chofes cor–
porelles; mais nous avons en meme tems obren é ,
qu~ ~es
[euIs
fens
ne leur fuffif?ien.t pas ,
n'y
ayant
p~lOt
d homme au monde qUI pmífe examiller par
IUl-meme toutes les chofes qui luí font néccffaires
a
la vie ; que, par conféquent
~
dans un nombre innnl.
d'occaíi'ons , ils ·avojent befolU de s'iníl:ruire les uns
les autres ,
&
de s'en rapporter el I$ urs obfervatLo s ,
mutllelles; qu'autrement ils ne poutroient tirer au–
cune utilité de la plfIpart des ,chofes que Dieu [em a
accordées.
D'Oll
~ous
avons conclu, que D ieu
á
voulu que le témOlgnage ; quand il feroit revetn de
certaines conditions , Hit auffi une marque de la vé–
rité. Or,
fi
le témoígnage dans certaines c!rconf–
tances eü infaiUible , les
fins
doivent l'etre au(f¡
puifque le témoignage ea [ondé fm les
fe¡¡S,
Ainfi
prouver que le témoignage des hommes en certai ncs
circoníl:ances , eíl: une regle súre de vérité c'cíl:
prouver .la
mer~le c~o(e
par rapport aux
¡en; ,
fLlt'
lefquels
11
eít
neceífalrement appuyé.
~ENS
COMMUN;
par
lefens commun
on entend la
difpof¡tion que la natllre a mife dans tousles hommes,
ou manifeHement dans la pln part d'entr'eux, pom
le~,r
faire
p~)[ter,
quand ils ont atteint l'ufage de la
ralfon , un ]ugement commun
&
unifotme fur des
objets différens du fenti ment intime de
leu~
propre
perception; jugement qu i n'eíl: poir.t la conféauencé
d'allcun principe antériellr. Si 1'6n vellt des
'exem~
pIes ge jugemens qui
fe
vérifient principalement par
la regle
&
par la force du
fens commun ,
on peut, ce
femble , citer les fuivans.
1°.
IL ya d'aUlres ¿tres,
&
d'autrts hommes que mol
au mondG.
2°.
lLy a que/que chofe qui s'appelle
vérité , fageíTe,
prudence;
&
c'ejf quelque c/zofe qui n 'efl pas purement
arbitraire.
3
0.
JL
¡e
trouve dans mOL quelque chofo
que
j'
appe/le
inteiligcnce,
&
que/que chofe qui n'ejl POilll intelLig¡nCl
&
qu'on appelle
corps.
4
0.
Tous Les lzommes ntJom point
d'
accord
ti
me [ror.¡–
per,
&
ti
m'enfaire accroire.
5°,
Ce 'luí n'cjl point inteLligence ne fauroit produire
tous Les
ejfitS
de L'intelligence , ni des parce/Les de m'(uiere
remuées all Izafard former un ouvrage d'llIz ordre
t;>
d'tlf%
moulltment régulier, tel qu'un horloge•
Tous ces jugemens , qui nous font diaés par le
fens commun
,
{ont des regles de vérité auffi réelles
&
auffi ulres que la regle tirée du fentiment intime
de notre propre perception; non pas qu 'elle emporte
notre efprit avec la meme vivacité de clarté, mai9
avec la meme néceffité de confentement. Comme il '
m'eíl: impoffible de juger que je ne penfe pas, lorfque
je penfe aétuellement ; il m'eíl: également impofllble
de juger férieufement que
j@
foís le [eul etre au
rnon~
de ; que tous les hommes out con[piré
a
me tromper
dans tout ce qu'ils difent; qu'un ouvrage de l'induf ..
trie humaine, tel qu'un horloge qui montre régulie-'
rement les heures , en: le pur effet du hafard.
Cependant il faut avouer qu'entre le genre des
premieres vérités tirées du fentiment intime,
&
tout
alltre genre de premieres véri és , il fe rrouve une
différence; c'en: qu'a l'égard clu premier on ne peut
imaginer qu'jl foit fufceptible d'aucune ombre de
dome;
&
qu'el I'égard des autres, on peut alléguer
qu'ils n'ont
p~s,
une évidence
d~
genre {upreme.
d'é~
vid('nce. MalS Il faut [e fouvemr que ces premlere9
vérités q1.,i ne [ont pas du premier genre , ne tombanti
q ue fur des objets hors de nous, elles ne peuvent
D
ij
'.