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S E N
eíl: toujours conforme. b'reil placé fur un vaiífeau qui
avanee avee rapidité , rápporte qu'illui parolt que le
rivage avance du coté oppofé; c'eíl: ce quí hli doit
paroltre : car dans les circoníl:ances l'reíl
re~oit
les
memes impreffions que fi le rivage & le vaiífeau
avan~oient
chacun d'un coté oppofé, comme l'en–
feignent & les oblervations de la Phyíique , & les
regles de l'Optique. A prendre la chofe de ce biais ,
jamais les
Jens
ne nous trompcmt ; e'efi nous qui
nous trompons par notre imprudence, fur leur rap–
port fidele. Leur fidélité ne c,¡oníiíl:e pas
a
avertir l'ame
de ce qui eíl:, mais de ce qui leur parolt; c'eíl:
a
elle
de démeIer ce qui en eíl:.
2
0.
Ce qui parolt anos
Jens
eíl: prefque toujoürs
conforme a la vérité, dans les conjonétures
011
il s'a–
git de la conduite & des befoins ordinaires de la vie.
Ainíi, par rapport
a
la nourriture , les
Jens
nous font
fuffifamment difcerner les befoins qui y font d'u[age :
enforte qtie plus une chofe
)10US
eíl: falutaire, plus
Ruffi eíl: grand ordinairement le nombre des fenfa–
tions différentes qui nous aident
él.
la difcerner ;
&
(¡e
que nOHS
n.e
difcernons pas avec leur fecours, c'efi
ce qui n'appartient plus
el.
nos befoins, mais
a.
notre
curióíité.
3
o.
Le temoignage des
Jens
eíl: infaillible , qu'and
il
n'efi contredit dans noas ni par notre propre raifon,
ni par un témoignage précédent des
memesJens,
ni
par un témoignage aétue1 d'un é¡.utre de
nosJens ,
ni
par le témoignage des
Jens
des autres hommes.
1
0.
Quand notre raifon , iníl:ruite d'ailleurs par cer–
tains faits& certaines réflexions, nous faitjuger mani–
feíl:ement le contraire de ce qui parolt
él.
nbsJens,
leur
témoignage n'efi nullementen ce point regle de vérité. .
Ainíi, bien que le foleil ne paroiífe large que
d~
deux
piés,
~
les
~toiles
d'un pouc.e d.e diametre, la r;:i'ifon
iníl:rlllte d'allleurs par des faIts lI1conteíl:ables, & par
des connoiífances évidentes , nous apprend que ces
aíl:res font infiniment plus grands qu'ils ne nous pa- ,
roiífent.
2°.
Quand ce qui parolt aétuellement
a
nosJens
eíl:
contraire
él.
ce qui leur a autrefois paru ; car on a fu–
Jet alors de juger ou que l'ohjet n'eft pas
a
portée ,
ou qu'il s'eíl: fait quelque changement foit ¿ans l'objet
meme , foit dans notre organe : en ces occafions on
doit prendre le parti de ne point juger
~
plihot que de
juger rien de faux.
'
L'ufage & l'expérience fervent
a
difcerner le
témoi–
gnage
desJen$~
Un enfant qui
apper~oit
fon image
fur le bord de I'eau ou dans un miroir ,la prend pour
un autre énfant qui eíl: dans ¡'ean on au-dedans dn
miroir; 'mais l'expérience lui ayant fait porter.1a main
dans l'eau ou fur le miroir , il réforme bientot le
Jens
de la vúe par celui du toucher,
&
il fe convamc avec
le tems qu'il n'y a point d'enfant
a
l'endroit OÜ il
croyoit le voir. 11 arrive encore
a
un indien dans le
pays duquel il ne gele point, de prendre d'abord en
ces pays-d un morcean de glace I?pur une pierre ;
mais l'expérience hti ayant fait voir le P10rceau de
glace qui fe fond en eau , il réforme au.ffi.-tot le
Jens
du t.oucher par la vúe.
La troifieme regle efi quand ce qui parolt
a
nos
flns
efi contraire
a
ce qui parolt aux
Jens
des autres
hf>mmes, que nous avons fuj et de cr.oire auffi-bien
organifés que nous. Si mes yeux me font un rapport
contraire
a
celui des yeux de tous les autres , je doÍs
croire ,que c'eíl: moi pllttot qui
f~lÍs,
en particulic:r
trompe, que non pas eux tous en general :. autrement
ce feroit la nature qui meneroit au faux le plus grand
nombre des hommes ; ce qu'on ne peut juger rai[on–
nablement.
Yoye{ logique
du P. Buffiet,
a
l'article
des
premieres ."érités.
'Quelques philofophes , continue le meme auteur
que nOU5 venons· de citer, fe font occupés
a
montrer
que nos yeux nous portent ,ontinuellement
a
l'er-
s
E N
reur, paree que leur rapport efi ordinail'emenf
taUJi
fur la
v~ritable
grandellr; mais je demanderois vo–
lontiers
él.
ces philofophes fi les yellx nOlls ont été
donnés pour nous faire abfolument juger de la grao–
deur des objets
?
Qui ne fait que Con objet propre &
particulier font les couJeurs? 11 efi vrai que par ac–
cident, {elon les angles différens que font
íi.lrla rétine
les ray ons
de
la lumiere, l'efprit prend
occaíi.onde
former un jugement de conjeétures touchant la dif–
tance & la grandetlr des objets ; mais ce jugemeot
n'efi pas plus
duJens
de la vue , que
duJens
de l'ouie.
Ce dernier, par fon organe , ne laiífe pas auffi de ren–
dre témoignage , comme par accident ,
él
la grandeur
&
a
la difiance des corps fonores, pui[qu'ils cau[ent
dans l'air de plus fortes ou de plus foibles ondula–
tions , dont l'oreille eíl: plus ou moms frappée. Se–
rair-on bien fondé pour cela
a
démontrer les erreun.
desJens,
parce que l'oreille ne nous fait pas juger
fort j\.lfie de la grandeur & de la diíl:ance des objets ?
il m'e femble qL'le non; paree qu'en ces occafions 1'0-
reille ne fait point la fonétioo particuliere de l'organe
&
duJens
de l'ouie, mais fupplée comme par accl–
dent
a
la fonétion du toucher, auquel il appartient
proprement d'appercevoir la grandeur & la diíl:ance
des objets.
.
C'efi de quoi l'ufage univerfel peut nous convain–
cre. On a établi pour les vraies mefures de la gran–
deur, les pouces , les piés , les palmes , les coudées
1
qui font les parties du corps humain. Bien que l'or–
gane du toucher {oit répandu dans toutes les partie¡¡
du corps, il réfide néanmoins plus feníibJement dans la
main; e'eíl:
a
elle qu'il appartient proprement de me-
o
furer au juíl:e la grandeur , en me[urant par Con éten–
due propre la grandeur de l'objet auquel elle eft ap–
pliquée. A moins done que le rapport des yeux .fur
la grandeur ne {oit vérifié par la main, le rapport des
.yeux fur la grandeur doit paífer pour ftúpeét: cepen–
dant
leJens
de
la
vúe n'en efi pas plus trompeur , ni
{a fonétion plus imparfaite; paree que d'elle-meme
& par l'infiitution direéte ele la nature , elle ne s'étend
qu'au difcernement des couleurs, & feulement par
accident au difcernement de la difiance & de la gran–
deur des objets.
Mais
a
quoi bon citer ici l'exemple de la mouche,
dont les
p~tits
yeux verroient les objets d'une gran–
dem toute autre que ne feroient les yeux d'un élé–
phant
!
Qu'en peut-on conclure? Si la mouche & 1'6-
léphant avoient de l'intel1igence, ils n'auroient ponr
cela ni l'un ni l'autre une idée fauífe de la grandeur ;
car toute grandeur étant relative , ils jugeroient cha.-–
cun de la grandeur des objets fur leur propre éten'–
due , dont ils auroient le fentiment: ils pOllIroient fe
dire, cet obj et efi tant de fois 'plus OH moins étend1,l
que mon corps , ou que telle partie de mon corps ;
&
en cela , malgré la différence de leurs yeux, leur
jugement fur la grandeur feroit touJours également
vrai de coté & d'autre.
C'eíl: auffi ce qui arrive
a
I'ég.ard des hommes;
quelque différente impreffion que l'étendlle des ob–
jet,s
f~ífe
fur
lell.rsyeux "les uns
&
les .aut:es ont une'
Idee egalement ¡uile de la grandeür des- obJets; paree
qu'ils la mefurent chaclln de leur coté, al! fentiment
qu'ils ont de leur propre éteRdlle,
On peut dire de
nosJens
ce que l'on
d.itde la
ra~
foa. Car de m&m<t qu'elle ne·.peut nous tromper , .
lorfqu'elle efi hien dirigée '. c'efi-a-dire, ').u'eHe fliit
la lumiere natnrelle que Dieu luí a donnee, qu'el1e
ne marche qu'a la lueur de l;évidence' ,
&
qu'elle
s'arrer~
la ollles idées viennent
a
Lti
man~uer:
ainfi
les
Jenj
ne peuvent
nOl.tStromper , 10rÍqu'ils agiífent
de concert qu'ils fe pretent des fecours mutuels ,
&
ql1'ils s .clent {ur-tout de l'expérience. C'efi elle
fur-toJ.l ui.nolls prémunit contre bien des erreurs ,
~
le$Jens
íeuls
occahQnneroient. Ce n'efi queparun
I