C
R I
íi'amufer
la
malignité, travail frivole , aifé ,
mépri~
fable
~
&
pour lequel il.fuffir d'avoir quelque pen•
chaot
a
la fatyte' beaucoup de confiance
&
un pe u
d'eíprit' j'entends de cet efprir fa8ice qui coute tou•
jours plus qu'íl ne vaut. La rareré des bons
critiques
prouve bien la difficulté du genre;
&
que de parties
en effet ,
íl
faut raífembler pour
y
réuffir!
J
ugement
{olide
&
profond ; logiql,le fure
&
bien exercée;
fagacité
~
goftt, précifion; efprit facile ; mais de
cette trempe qui n'eft que
la
fleur du bon fens; ima–
gination fouple , mais réglée ; variét é de connoif–
fance, érudition étendue , amour du travail,
&c.
Voila les principaux élémens dont l'heureufe combi–
llai(Qn forme le génie de la critique ;
&
quiconque,
fans ce génie, veut exercer l'art, fait un mérier
tres-périlleux. Car lorfqu'un ouvrage eft critiqué,
ce n'eft pas l'auteur qui fubit l'épreuve la plus déli–
cate.
Le
public intelligent fe réferve le droit de juger
le cenfeur ;
&
íi la critique efi injufte ou fauífe, le
mépris dont elle eft
p~yée
fe mefure a l'idée de fu–
périorité que tour cenfeur fajr préfumer avoir voulu
denner de foi. De ces coníidérations générales, je
paíre au portrait du vrai
critique.
Si je parois tra–
cer icí l'idée de l'homme qui ne fe trouve point, le
-contrafie
au
moins
f~:ra
voir l'idée de l'homme qui
íe trouve.
·
· Le
critique
qui fait refpeéler fes leéleurs , ne fe
paré' point des apparences de la rnodération que
prefcú vent les loix de la fociété , pour mieux fe
livrer
a
fa fougue.
Il
ne prend point jufqu'a fa
deviíe pour la méprifer plus ouvertement ; mais
fans l'annoncer avec fafie ·, il la fait paífer dans
fes
écrits. Au lieu de chercher a en impofer par ces
préambules pompeux , otL la charlatannerie fe dé–
ploie, par cette vaine rnontre de richeífes qu'érale
la fauíre opulence ,
il
réalife feulemenr ce que les
petirs écrivains ne fe laífent pas de promettre. Chez
lui tous ces noms fp ' cieltlx de
Liberté,
d'
amour du
yrai, d'inddpendance phiLofophique
ne fervent point
a
colorer un pur brigandage ' un vrai cynifme litté–
raire. Attaché
a
la firnplicité dida8ique moins fafii–
dieufe
&
moins monotene que
l.e
luxe faux des dé–
clamateurs'
il
ne coud point
a
tous fes extraits de
froides préfaces, d'ennuyeufes amplifications, des
tirades vuides
&
fouffiées, des lieux communs cent
fois rebatus qui n'apprennent rien, de perites fatyres
déguifées mal-adroitemeRt en préceptes de goftt : il
laiífe aux demi-liaérateurs
l~affe 8ation
de ces orne–
mens doot leur érudition fe compofe. Exaétement
imparrial, on ne lt! voit point s'o'Ccuper de la per–
fonne d'un auteur beaucoup plus que de fon ouvra–
.ge.,
11
ne lit poinr tout
uñ
livre daos la feule table
<les matieres; pour n'en donner que des lambeaux
tirés au hafard , ou curieufement recherchés dans le
deífein de montrer l'ouvrage du coté le moins fa–
vorable.
Il
ne profiitue point fa plume pour accré–
diter des produ8ions viles, ou dangereufes ;
&
ni
l'intéret
du
libraire qui eft toujours féparé du úen,
ni celui d'un mauvaís écrivain qu'il pourroit af–
feilionner fans l'en eftimer davantage, ou de laches
niénagemens pour d'auttes qu'il craindroit fans les
aimer, ne
lui
font jamais
~inpromettre
ou trahir
fon difcernement,
Il
ne manque point aux égards
dus aux talens fupérieurs, aux hommes de génte: il
fait remarquer leurs fautes, paree qu'il eft attentif
&
clair-voyant; mais par une jaloufie baífe, il ne
diffimule pointles belles ehofes qui rachetent leurs né–
gligences,
&
en nous éclairant de bonne foi fur les
défauts d'un ouvrage,
'il
paie aux talens de l'auteur
le tribut d'eíl:ime qu'e](ige la íincérité.
Il
ne fe paf–
iionne point avec un acharnement ridicule contre
d'illuftres écrivains .qui pourroient
~
d'un feul trait
de plume , écarter mil! e infe8es fatyriques, s'ils
pouvoient
.fentir
leurs piquures. Au-deífus de la
CRI
h~ine
&
de la vengeance qui foñt les paillons des
fm?le~
&
la fource
des
petiteífes , il ne pourfuit
po~nt
a
?utra~ce
_&
,ave_c une fu reur puérile '"eux
qUJ aurOient pu
lLu
deplaire.
n
ne s'attache point con:.
ftamment
a
nous préoccuper pour certains auteurs
&
a
en déprimer d'autres qui donoenr
au
moins le:
memes
efp~rances.
Le
jugeme~t
d'un bon
critique
fe
remarque Jllfque dans le ch01x des ouvraoes qui
font l'objet de fa cenfure.
Il
n'affeéle point
0
de dé–
précier des écrits dont le plus grand défaut feroit
de
n~avoir
point fon attache,
&
d'en próner de mé..
d10cres dont fa prote&ion feroit tout le mérire.
T~:mjours
fort de fes propres forces;
&
non de la
fotbleífe d'autrui,
il
n'ira point, pour {e faire redo
u–
ter, déterrer de mauvais romans ,
ou
des livres
oh,fcurs qui ne font lus de perfonne ,
&
que le plus
mmce leB:eur eft en état d'apprécier par lui-meme.
Par le meme príncipe encore,
il
ne s'appefanrit:
point fur les chofes dont le ridicule eft .palpable
&
faute aux yeux de tout le monde; fa pénétration fe
réferve pour des remarques moins tri viales.
11
ne
prend point pour le fond de l'art la chicane de
l'art; auffi ne va-t-il pas éplucher
les
perites fautes
d'un ouvrage, compter les
que,
les
ji,
les
mais,
&
négliger ce qu'il y a de bon; mais il a toujours
foin de faire une compenfation équitable,
&
qui
honore autant le gout que le bon efprit du cenfeur..
1
Il
s'arrete encore bien plus
a
l'eífence qu'a la furfaca
des chofes ,
&
ne juge pas tous les écrits {uivant les
regles d'un froid purifme potté Jnfqu'a la pédanterie.
Ficlele jufqu'au fcrupule, ainft que doit l'etre tout
homme qui s'érige en juge,
il
cite avec exa8itude
&
ne déguife o
u
n'altere r.ien. Lorfqu'il a lieu de
cenfurer un auteur,
il
produit littéralement fes ex•
preffions
fa~s
les affoiblir en les mutilant ,
0u
par
quelque
~liangement
dans les termes.
11
ne fe pare
point non plus des penfées d'áutrui
¡
il
fe garde
bien
de rapporter de longs textes, fans les difiinguer par
aucune marque de la fuite de fon difcours; fans
avertir qu'un autre parle. Toutes ces petites rufes
de guerre, quoiqu'apperc;ues
ordi~airernent
de peu
de leéteurs, font indignes d'un vrai
critiqu';
il rou•
giroit de les employer. Quand
il
patle d'un botl'
ouvrage, ou d'nn écrivain de mérite,
il
ne s'aban–
donne point a l'enthoufiafme'
a
des exagérations)
a
des louanges outrées que leur feul exces rendroit
fauífes
&
par conféquent fans effet. D'un autre coté,
lorfqu'il cenfure, fes expreffions ne font jamais du–
res, chargées, abfohtes , mais réfléchies
&
mefu–
rées.
Il
fait fur-tout fe préferver des airs
&
des tons
décififs que prennent les petits
critiques
,
paree
queJe favoir efr
ti
mide,
&
que fa modefiie le rend
circonfpeél: par-tout
Otl
l'ignorant tranche avec har–
diefie. Daos cer efprit , jamais
il
ne donne pour re–
gles de fes jugemens, ni fon goút particulier, nt
~ fes
idées propres.
Il
rappelle tout aux principes ;
aux regles de proportion établies, o
u
par les grands
ma}.tres ,
Oll
par la nature meme des chofes ;
&
comme
il
e.ficomptabl.e au public qui doit le juger
a fon tour,
il
ne
cond~mne
rien
fans motifs ' fans
rendre raifon de fa cenfure.
11
fait de plus caraétéri...
fer par des traits propres
&
diíl:inaifs' meme une.
produ8ion médiocre, fans laiífer échapper ríen de.
perfonnel, ou d'offenfant contre l'auteur.
Il
efi des
railleries innocentes qui ne fauroient bleífer per–
fonne'
&
que le férieux de
l'a
t
n'interdit point
a
un bon
crilique;
mais
il
ne s'en permet aucune qui
ne s'offre, pour ainfi-dire d'eUe-meme.
ll
ne fe
bat
jamais les flanes pour prodwire du ridicule ou
il
n'y
en
a
point ; il ne fonge meme
a
le montrer op
il
eft,
que quand l'intéret du goftt ou de la raifon
l'exi~e
néceífairement.
Il
rejette févérement tous ces quoh–
bets infipides , ces miférables pointes,
&
ces pré·
tendnes
épigramm.e~
dont la recherche
puérile
~·