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S E N

NosJenfalions

étant des perceptions repréfentati–

ves d'une inflnité de petits mouvemens indifcerna–

bIes, il efr naturel qn'elles amenent avec elles l'i–

dée claire on confufe du corps dont celle du mon–

vement efr inféparable,

&

que nous regardions la

matiere en tant

ql1'ag~té-e

par ces divins

mo~

vemens ,

comme la caufe l1niverfelle de nos

JenJalUms,

en

meme tems ql1'elle en efr l'objet.

Une autre conféquence ql1i n'efr pas moins natu–

relle, c'efr qu'il arri'l'e de-la que nos

Jenjations

font

la preuve la plus convaÍncante que nous

ayons.de

l'exifrence de la matiere. C'efr par elles que Dleu

~ous

avertit de notre exiíl:ence ; car quoique Dieu

foit la caufe univerfelle

&

immédiate ql1i agit fur

notre ame, fur laquelle, quand on y penfe, on

voit bien que la matiere ne peut agir réellement

&

phyfiquement; quoiqu'il fuffife des feules

finfotions

que nous recevons

el

chaque moment, pour démon–

trer qu'il y a hors de nous un efprit dont le pouvoir

efr inflni; cependant la raifon pour laquelle cet efprit

tOl1t-puiffant affujettit notre ame

el

cette fuite fi va–

riée, mais fi réglée, de perceptions confufes, qui

n'ont que des mouvemens pour objet, celte rarlon

ne peut etre prife d'ailleurs, que de ces I?ouvemens

memes, qui arrivent en effet dans la matlere aé.tue1-

lement exiíl:ante ;

&

le but de l'efprit infini , qui

n'agit jamais au hafard, ne peut etre

al~tre,

que de

nous manifeíl:er l'exifrence de cetre matlere avec ces

Clivers mouvemens. Il n'y a point de voie plus pro–

pre pour nous

in~ruire ~e ~e f~it.

L'idée feule

~e

la

matiere nous decouvruolt bIen fa nature , maIS ne

nous apprendroit

tama~s

f?n

exifr~nc;, p~ifq~.t'il

.ne

lui efr point effentlel d eXlfrer.

~a;

1

applicatlOn 1n–

volontaire de notte ame

el

cette Idee,

rev~tue

de celle

d'une inflnité de modifications

&

de mouvemens

fucce$fs, qui font arbitraires

&

accidentels

el

Cette

idée, nous conduit infailliblement

el

croire qu'elle

uifre avec toutes fes diverfes modifications. L'ame

con'duite par le créateut- dans

~ette

fuite réglée de per–

ceptions, efr convaincue qu'il doityavoirun monde

matériel hors d'elle , qui foit le fondement, la caufe

exemplaire de .cet ordre,

&

avec lequel ces percep–

tions ayent un rapport de vérité. Ainfi, quoique

dans l'imlI).enfe variété d'ohjets que les fens préfen–

tent

él

notre efprit , Dieu feul agiffe fur notre efprit ,

chaque objet fenfible avec toutes fes proprietés ,

peut

pa~er

pour la caufe de

laJe/lfcJtion

que nous en

avons, parce qu'il eíl: la raifon fuffifante de cetteper–

ception ,

&

le fondement de fa vérité.

Si vous_m'en demandez lit raifon , je vous répon-

drai que. c'efr ,

.

1°.

Par\=e que notrs éprouvons dans mille Occa–

:fions qu'il y a des

Jenfations

qui entrent par force

da~5

notre ame , tandis qu'il y en a d'autres dont

nous difpofons librement ,foit en les rappellant ,

foit en les écartant, felon q\l'il nous en prend en–

vie. Si

el

midi je tourne les yeux vers le foleil ,je ne

faurois éviter de recevoir les idées que la lllmiere du

foleil produit alors en moi: au lien que fi -je ferme les

yeux , ou que je fois dans une chambre obfcure, je

peux rappellerdans mon

efpritquand.je

veuxles idées

de la lumiere ou du foleil , que des

JenJations

précé–

dentes avoient placées dans ma mémoire ;

&

que je

peux quitter ces idées, quand je veux , pour me

fixer

a

l'odeur d'une rofe , On an gOllt du fucre. Il

eil:

évident que cette diverfité de voies par 1efquelles

nos

flnfations

s'introduifent dans l'ame, fuppofe que

les unes font produites en nous par la vive impref–

non des objets extérieurs , impreffion qui nous mai–

trife , qui nous prévient,

&

qui nous guide de gré ou

de force;

&

les atares par le fimple fouvenir Jes

impreffions qu'on a déja reífenties. Outre cela il n'y

a perfonne , qui ne fente en elle-meme la différence

qui fe trouve entre contempler le foleil , íelon qu'il

SEN

en a Pidée dans fa mémoire ,

&

le tegarder

aauelte~

ment: deux chofes, dont la perception efrfi.dillinéle

dans l'efprit, que peu de fes idées font plus difrínc...

tes les unes des autres. II reconnoit ,donc

c:ertaine~

ment qu'elle ne font pas toutes deux tm effet de fa

mémoire , ou des produlfrions de fon efprit , OH de

pures fantaifles formées en lui-meme; mais que la

vue du foleíl eit produite par une caufe.

2

O.

Parce qu'il eíl: 6vident que ceux qui fent def–

titués des organes d'un certain fens, ne peuvent

ja..

mais faire que les idées qui appartiennent a ce fens ,

foient aétueUement produites dans leur efprit. C'efr

une vérité fi manifefre ,qu'on ne peut la révoquer en

doute;

&

par conféquent, nous ne pouvons douter

que ces perceptions ne

110US

viennent daos l'efprit

par les organes de ce fens,

&

non par ancune atltre

voie : il efr vifible que les organes ne les produifent

pas; car fi cela

étoit~

les yeux d'un homme produi–

rOlent des conleurs dans les ténebres,

&

fon nez fen–

tiroit des rofes en hiver. Mais nous ne voyons pas

que perfonne acquiere le gOllt des

anrmas,

avant

qu'il aille aux rndes oll fe trouve cet excellent fruit ,

&

qu'il en goúte aétnellement.

3

o.

Parce que le fentiment du plaifir

&

de la dou–

leur nous affeéte bien autrement , que le limpie fou–

venir de l'un

&

de l'atttre. Nos

Jenfatioas

nous don–

nent une certitude évidente de quelque ohofe de

plus, que d'une fimple perception intime:

&

ce plus

efr une modification , laquelle, outre une particu–

liere vivacité de fentiment ,nous exprime l'idée

d'un etre qui exifre aétuellement hors de nous,

&

que nous appellons corps. Si le plaifir ou la donleur

n'é~oient

pas occafionnés par des obje!s extétieurs ,–

le retour des memes idées devroit toujours &tre ac–

compagné des memes

fenJations.

Or cependant cela

n'arrive point; nous nOllS reffouvenons de la dou–

leur que caufent la faim, la foif,

&

Je

mal de tete,

fans en reíl"entir aucune incommodité; nous penfons

aux plai-firs que nous avons goutés, fans &tre péné–

trés ni remplis par des fentimens délicicux.

4

0

Parce que nos fens , en plufieurs cas, fe ren–

dent témoignage l'un

a

l'autre de la vérité de leurs

rappor.ts

touchant l'exifrence des chofes fenfibles qLtÍ

[orit hors de nous. Celui qui voit le feu, peut le

íentir;

&.

s'il doute que ce ne [(1)it autre chofe qu'u ne

limpIe

imagil1at~ol1,

il peut s'en convaincre en met–

tant dans le feu fa propre maÍn, qlÚ certainemel1t

ne pourroit jamais reílentir une douleur:fi violente

a

l'occa:fion d'une pure idée ou d'lm limpIe fantóme;

a-moins que cette douleur ne foit elle -meme une

imaginaríon, qu'il ne pourroit pourtant pas rappel–

ler daos fon efprit, en fe repréfentant l'idée de

.la

brttlure apres qu'elle a été guérie.

Ainfi, en écrivant ceci, je vois que je puis chan–

ger les apparences du papier ,

&..

en trac;ant des let–

tres, dire d'avance quelle nouvelle

id.ée

ii préfentel'a

él

l'efprit dans le moment fuivant, par le moyen de

quelques traits que j'y ferai avec la plume; mais

j'aurai beau imaginer ces traits, ils ne paroltront

point, fi ma main demeure en re.pos, ou fi je ferme

les yeux, en remuant ma máin:

&

ces caraél:eres une

. fois tracés fur le papier, je ne puis plus éviter de les

voir tels qu'ils fom, c'efr.a-dire, d'avoir les idées de

telles

&

telles lettres qtle j'ai formées. D'o\l ,il s'en–

fuit vjfiblement que ce n'efr pas un jeu de mOI1 ima–

gination, puifque je trouve que les caraél:eres qui

d~t

été tracés felon la fantaiíie de mon efprit, ne

dependent plus de cette fantaifie,

&

he

ceffent pas

d'etre, des que je viens

a

me figurer qu'ils ne font

plus; mais qu'au contraire ils continuent d'affeéler

• mes fens conframment

&

régulierement, felon la

figure que je leur ai donnée. Si vous aj'outez a cela,

t¡ue la vue de ces ca Jeres fera prononcer

a

un au–

re

nomJne les

memes (ons que je m'étois propofé