/
36
S E N
NosJenfalions
étant des perceptions repréfentati–
ves d'une inflnité de petits mouvemens indifcerna–
bIes, il efr naturel qn'elles amenent avec elles l'i–
dée claire on confufe du corps dont celle du mon–
vement efr inféparable,
&
que nous regardions la
matiere en tant
ql1'ag~té-e
par ces divins
mo~
vemens ,
comme la caufe l1niverfelle de nos
JenJalUms,
en
meme tems ql1'elle en efr l'objet.
Une autre conféquence ql1i n'efr pas moins natu–
relle, c'efr qu'il arri'l'e de-la que nos
Jenjations
font
la preuve la plus convaÍncante que nous
ayons.del'exifrence de la matiere. C'efr par elles que Dleu
~ous
avertit de notre exiíl:ence ; car quoique Dieu
foit la caufe univerfelle
&
immédiate ql1i agit fur
notre ame, fur laquelle, quand on y penfe, on
voit bien que la matiere ne peut agir réellement
&
phyfiquement; quoiqu'il fuffife des feules
finfotions
que nous recevons
el
chaque moment, pour démon–
trer qu'il y a hors de nous un efprit dont le pouvoir
efr inflni; cependant la raifon pour laquelle cet efprit
tOl1t-puiffant affujettit notre ame
el
cette fuite fi va–
riée, mais fi réglée, de perceptions confufes, qui
n'ont que des mouvemens pour objet, celte rarlon
ne peut etre prife d'ailleurs, que de ces I?ouvemens
memes, qui arrivent en effet dans la matlere aé.tue1-
lement exiíl:ante ;
&
le but de l'efprit infini , qui
n'agit jamais au hafard, ne peut etre
al~tre,
que de
nous manifeíl:er l'exifrence de cetre matlere avec ces
Clivers mouvemens. Il n'y a point de voie plus pro–
pre pour nous
in~ruire ~e ~e f~it.
L'idée feule
~e
la
matiere nous decouvruolt bIen fa nature , maIS ne
nous apprendroit
tama~s
f?n
exifr~nc;, p~ifq~.t'il
.ne
lui efr point effentlel d eXlfrer.
~a;
1
applicatlOn 1n–
volontaire de notte ame
el
cette Idee,
rev~tue
de celle
d'une inflnité de modifications
&
de mouvemens
fucce$fs, qui font arbitraires
&
accidentels
el
Cette
idée, nous conduit infailliblement
el
croire qu'elle
uifre avec toutes fes diverfes modifications. L'ame
con'duite par le créateut- dans
~ette
fuite réglée de per–
ceptions, efr convaincue qu'il doityavoirun monde
matériel hors d'elle , qui foit le fondement, la caufe
exemplaire de .cet ordre,
&
avec lequel ces percep–
tions ayent un rapport de vérité. Ainfi, quoique
dans l'imlI).enfe variété d'ohjets que les fens préfen–
tent
él
notre efprit , Dieu feul agiffe fur notre efprit ,
chaque objet fenfible avec toutes fes proprietés ,
peut
pa~er
pour la caufe de
laJe/lfcJtion
que nous en
avons, parce qu'il eíl: la raifon fuffifante de cetteper–
ception ,
&
le fondement de fa vérité.
Si vous_m'en demandez lit raifon , je vous répon-
drai que. c'efr ,
.
1°.
Par\=e que notrs éprouvons dans mille Occa–
:fions qu'il y a des
Jenfations
qui entrent par force
da~5
notre ame , tandis qu'il y en a d'autres dont
nous difpofons librement ,foit en les rappellant ,
foit en les écartant, felon q\l'il nous en prend en–
vie. Si
el
midi je tourne les yeux vers le foleil ,je ne
faurois éviter de recevoir les idées que la lllmiere du
foleil produit alors en moi: au lien que fi -je ferme les
yeux , ou que je fois dans une chambre obfcure, je
peux rappellerdans mon
efpritquand.jeveuxles idées
de la lumiere ou du foleil , que des
JenJations
précé–
dentes avoient placées dans ma mémoire ;
&
que je
peux quitter ces idées, quand je veux , pour me
fixer
a
l'odeur d'une rofe , On an gOllt du fucre. Il
eil:
évident que cette diverfité de voies par 1efquelles
nos
flnfations
s'introduifent dans l'ame, fuppofe que
les unes font produites en nous par la vive impref–
non des objets extérieurs , impreffion qui nous mai–
trife , qui nous prévient,
&
qui nous guide de gré ou
de force;
&
les atares par le fimple fouvenir Jes
impreffions qu'on a déja reífenties. Outre cela il n'y
a perfonne , qui ne fente en elle-meme la différence
qui fe trouve entre contempler le foleil , íelon qu'il
SEN
en a Pidée dans fa mémoire ,
&
le tegarder
aauelte~
ment: deux chofes, dont la perception efrfi.dillinéle
dans l'efprit, que peu de fes idées font plus difrínc...
tes les unes des autres. II reconnoit ,donc
c:ertaine~
ment qu'elle ne font pas toutes deux tm effet de fa
mémoire , ou des produlfrions de fon efprit , OH de
pures fantaifles formées en lui-meme; mais que la
vue du foleíl eit produite par une caufe.
2
O.
Parce qu'il eíl: 6vident que ceux qui fent def–
titués des organes d'un certain fens, ne peuvent
ja..
mais faire que les idées qui appartiennent a ce fens ,
foient aétueUement produites dans leur efprit. C'efr
une vérité fi manifefre ,qu'on ne peut la révoquer en
doute;
&
par conféquent, nous ne pouvons douter
que ces perceptions ne
110US
viennent daos l'efprit
par les organes de ce fens,
&
non par ancune atltre
voie : il efr vifible que les organes ne les produifent
pas; car fi cela
étoit~
les yeux d'un homme produi–
rOlent des conleurs dans les ténebres,
&
fon nez fen–
tiroit des rofes en hiver. Mais nous ne voyons pas
que perfonne acquiere le gOllt des
anrmas,
avant
qu'il aille aux rndes oll fe trouve cet excellent fruit ,
&
qu'il en goúte aétnellement.
3
o.
Parce que le fentiment du plaifir
&
de la dou–
leur nous affeéte bien autrement , que le limpie fou–
venir de l'un
&
de l'atttre. Nos
Jenfatioas
nous don–
nent une certitude évidente de quelque ohofe de
plus, que d'une fimple perception intime:
&
ce plus
efr une modification , laquelle, outre une particu–
liere vivacité de fentiment ,nous exprime l'idée
d'un etre qui exifre aétuellement hors de nous,
&
que nous appellons corps. Si le plaifir ou la donleur
n'é~oient
pas occafionnés par des obje!s extétieurs ,–
le retour des memes idées devroit toujours &tre ac–
compagné des memes
fenJations.
Or cependant cela
n'arrive point; nous nOllS reffouvenons de la dou–
leur que caufent la faim, la foif,
&
Je
mal de tete,
fans en reíl"entir aucune incommodité; nous penfons
aux plai-firs que nous avons goutés, fans &tre péné–
trés ni remplis par des fentimens délicicux.
4
0
•
Parce que nos fens , en plufieurs cas, fe ren–
dent témoignage l'un
a
l'autre de la vérité de leurs
rappor.tstouchant l'exifrence des chofes fenfibles qLtÍ
[orit hors de nous. Celui qui voit le feu, peut le
íentir;
&.
s'il doute que ce ne [(1)it autre chofe qu'u ne
limpIe
imagil1at~ol1,
il peut s'en convaincre en met–
tant dans le feu fa propre maÍn, qlÚ certainemel1t
ne pourroit jamais reílentir une douleur:fi violente
a
l'occa:fion d'une pure idée ou d'lm limpIe fantóme;
a-moins que cette douleur ne foit elle -meme une
imaginaríon, qu'il ne pourroit pourtant pas rappel–
ler daos fon efprit, en fe repréfentant l'idée de
.la
brttlure apres qu'elle a été guérie.
Ainfi, en écrivant ceci, je vois que je puis chan–
ger les apparences du papier ,
&..
en trac;ant des let–
tres, dire d'avance quelle nouvelle
id.éeii préfentel'a
él
l'efprit dans le moment fuivant, par le moyen de
quelques traits que j'y ferai avec la plume; mais
j'aurai beau imaginer ces traits, ils ne paroltront
point, fi ma main demeure en re.pos, ou fi je ferme
les yeux, en remuant ma máin:
&
ces caraél:eres une
. fois tracés fur le papier, je ne puis plus éviter de les
voir tels qu'ils fom, c'efr.a-dire, d'avoir les idées de
telles
&
telles lettres qtle j'ai formées. D'o\l ,il s'en–
fuit vjfiblement que ce n'efr pas un jeu de mOI1 ima–
gination, puifque je trouve que les caraél:eres qui
d~t
été tracés felon la fantaiíie de mon efprit, ne
dependent plus de cette fantaifie,
&
he
ceffent pas
d'etre, des que je viens
a
me figurer qu'ils ne font
plus; mais qu'au contraire ils continuent d'affeéler
• mes fens conframment
&
régulierement, felon la
figure que je leur ai donnée. Si vous aj'outez a cela,
t¡ue la vue de ces ca Jeres fera prononcer
a
un au–
re
nomJne les
memes (ons que je m'étois propofé