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DISCOURS PRELIMINAIRE
XXXI)
Ne foyons done pas étonnés que nos Ouvrages d'efprit foient en général inférieurs
a
ceux
du fiede précédent. On peut meme en trouver la raifon dans les efforts que nous fai(ons
pour furpaírer nos prédéceíreurs. Le gota & l'art d'écrire font en peu de tems des progres
rapides , des qu'une fois .Ia véritable route ,eíl: ouverte ;
,~ p.ein~
un grand géllie a-t-il entreví!
le beau, qu'il l'appenton dans toute fon etendue;
&
llmltanon de la belle Nature femble
bomée
a
de certames limites qu'une génération, ou deux tout au plus, ont bien tot atteintes:
il
ne reíl:e a la génération fuivante que d'imiter: mais elle ne fe contente pas de ce partage ;
les nchefres qu'elle a acquifes aurorifent le deGr de les accroltre; elle veut ajouter a ce
qu'elle a re<;u,
&
manque le but en cherchant
a
le paírer. On a done tout a la fois plus de
principes pour bien juger , un plus grand fonds de lumieres, plus de bons juges, & moins
de bons Ouvrages; on ne da poim d'un Livre qu'il eíl: bon , mais que c'eíl: le Livre d'un
homme d'efprit. C'eft ainíi que le liecle de Démétrius de Phalere a fuccédé immédiate–
ment
a
celui de Démofthene, le liecle de Lucain
&
de Séneque a celui de Cicéron
&
'de
Vlrgile,
&
le notre
a
celui de Louis XIV.
Je ne parle ici que du fiecle en général: car je fuis bien éloigné de faire la fatyre de quel–
ques homrr\es d'un
mér~
rare avee qui nous vivons. La coníl:ltutioll phyGque du monde lit–
téraire entraine, comme celle du monde matériel , des révolutions forcées , dont il feroie auffi
injuíl:e de fe plaindre que du changement des faifons. D'ailleurs corome nous devons au fiecle
de Pline les ouvrages admirables de Quintilien & de Tacite, que la génération précédente
n'auroit peut - etre pas été en état de produire , le norre laiírera
a
la poíl:érité des monumens
dont il a bien droit de fe glorifier. Un Poete cé"lebre par fes talens &par fes malheurs a effacé
Malherbe dans fes Odes,
&
Marot dans fes Epigrammes
&
dans fes Epitres. Nous avons vu
naitre le feul Poeme épique que la France puiíle oppofer a ceuxdes Grecs, des Romains, des
Italiens , des Anglois
&
des Efpagnols. Deux hommes illuíl:res , entre lefquels notre nation
femble partagée ,
&
que la poHénté faura mettre chacun a fa place, fe difputent la gloire
du cothurne,
&
1'on voit encore avec un extreme plaiGr leurs Tragédies apres celles de Cor–
neille
&
de Racine. L'un de ces deux hommes , le meme
a
qui nous devons la HENRIADE,
fur d'obtenir parmi le tres-perit nombre de grands PoeteS une place diíl:inguée
&
qui n'eíl:
qu'a lui, poírede en meme tems au plus haut dégré un talent que n'a eu prefque aucun Poete
meme dans un dégré médiocre, celui d'écrire en profe. Perfonne n'a mieux connul'art Grare
de rendre fans e.ffort chaque idée par le terme qui lui eíl: propre, d'embellir tout fans fe mé–
prendre fur le coloris propre a chaque chofe; enfin , ce qui caraaerife plus qu'on ne penfe
les grands Ecrivains, de n'etre jamais ni au-deírus, ni au-deírous de fon fujet. Son eíIai fur
le fiecle de Louis XIV. eíl: un morceau d'autant plus précieux que l'Auteur n'avoit en ce
genre aUCUll modele ni parmi les Anciens, ni parmi nous. Son hilloire de Charles XII. par la
rapidité & la nobleffe du íl:yle eíl: digne du Héros qu'il avoit a peindre ; fes pieces fugitives
fupérieures
a
toutes celles que nous eíl:irnons le plus, fuffiroient par leur nombre
&
par leur
mérite pour irnmorral!fer pluGeurs Ecrivains. Que ne puis-je en parcourant ici fes nombreux
& admtrables Ouvrages, payer a ce génie rare le tribut d'éloges qu'il mérite, qu'il a re<;u
tant de fois de fes comparriotes, des étrangers
&
de fes ennemis, & auquel la poíl:érité
mettra le comble quand il ne pourra plus en joüir
!
Ce ne font pas la nosfeules ncheffes. Un Ecrivain judicieux, auffi bon ciroyen que grand
Philofophe , nous a donné fur les príncipes des Lois un ouvrage décrié par quelques Fran<;ois ,
& eíl:imé de tome l'Europe. D'excellens C1uteuIS ont écrit 1'híHoire; des efprits juíl:es
&
écIai–
rés l'om approfondie: la Comédie a acquis un nouveau genre, qu'on auroit tort de re–
je~ter
,
pUlfq~'il
en réfulte un plaiGr de plus,
&
qui
n'a pas été aufll
inc~>nnu
des
~ciens
qu on voudrolt nous le perfuader ; enfin nous avons pluGeurs Romans qUl nous empechent
de regretter ceux du dernier liecIe.
Les beaux Arts ne [ont pas moins en honneur dans notre natíon. Si j'en crois les Ama–
teurs écIairés , notre école de Peinture eíl: la premiere de rEurope , & plulieurs ouvrages
de nos Sculpteurs n'auroient pas été defavoués par les Anciens. La Mufique eíl: peut-etre de
tous ces Arrs celui qui a faít depuis quinz.e ans le plus de progres parmi nous. Graces aux
travaux d'un génie maJe, hardí & fécond, les Etrangers
~ui
ne pouvoient fouffrir nos
fymphoníes, cornmencent
a
les gouter,
&
les Francrois paroiílent enfin perfuadés que Lullí
avoit laiíré dans ce genre beaucoup
a
faire. M. RAMEAU , en pouírant la pratique de fon
Art
a
un fi haut degré de perfeaion , efr devenu tout enfemble le modele & 1'objetde la ja–
lou~e
d'un grand nombre d'Artiíl:es, qui le décrient en s'effor<;ant de l'ímiter. Mais
Ce
qui
le dlíl:ingue plus partículierement , c'eíl: d'avoir refléchi avec beaucoup de fucces fur la
t~éorie
efe ce memeArt; d'avoir fu trouver dans la Baíre fondamentale le principe de l'harmo–
lll~
&de .la mélodie; d'avoir réduit par ce moyen a des lois plus certaines
&
plus umples, une
fc~ence
lIvrée avant luí a des regles arbítraires , ou diaées par une expérience aveugle. Je
falGs avec empreífement l'occalion de célébrer cet Artiíl:e philofophe , 'dans un difcours
deíl:iné