![Show Menu](styles/mobile-menu.png)
![Page Background](./../common/page-substrates/page0045.jpg)
D E S
E D 1 -T E U
R S.
xxxj
m~me
ofé prete!
a
la Philofophie les ornemens qui fembloient lui etre les plus étrangers ,
&
qu'elle paroiífoit devoir s'illterdire le plus féverement;
&
cette hardieífe a éré jufiifiée par le
[UCcf!S
le plus général
&
le plus fIateur. Mais femblable
a
tous les Ecrivains origirtaux , il a
laiífé bien loin derriere lui ceux qui ont cru pouvoir l'imiter.
L'
Auteur de I'HifioireNaturelle a fuivi une route différel1te. Rival de Platon
&
de Lucrece,
il a répandu dans fon Ouvrage , dont la réputation crolt de jour en jour , cette nobleífe
&
cette élévation de fiyIe qui font
Ú
propres aux matieres philofophiques ,
&
qui dans les
écrits du Sage doivent etre la peinture de fon ame.
Cependant la Philofophie, en fongeant a plaire, parolt n'avoir pas oublié qu'elle ef!:
principalement faite pour inftruire; c'efi par cette rallon que le gout des fyfiemes, plus
propre a fIater l'imagination qu'a éclairer la rallon, eíl: aujourd'hui prefqu'ab(olument banni
des bons Ouvrages. Un de nos meilleurs Philofophes femble lui avoir porté les derniers
coups
*.
L'efprit d'hypothefe
&
de conjeB:ure pouvoit etre autrefois fort utile,
&
avoitmeme
été néceífaire pour la renaiífance de la PhiIofophie; parce qu'alors il s'agiífoit encore moins
de bien penfer, que d'apprendre
a
penfer par foi-meme. Mais les tems font changés,
&
un
Ecrivain qui feroit parmi nous l'éloge des Syfl:emes viendrG;lit trop tardo Les avantages que
cet efprit peut procurer maintenant íont en trop petit nombre pour balancer les inconvéniens
qui en réfultent;
&
ú on prétend prouver l'utiIité des Syíl:emes par un tres-perit nombre
de découvertes,qu'ils ont occaúonnées autrefois, on pourroit de rneme confeiller a nos Géo–
metres de s'appliquer a la quadrature du cercle , parce que les efforts de plulieurs Marhé–
maticiens pour latrouver , nous ont produit quelques theoremes.
L'
efprit de Syíl:eme eft dans
la Phylique ce que laMétaphylique eíl: dansla Géomérrie. S'il eíl: quelquefois néceífaire pour
1l0US
mettre dans le chemin de la vérité,
il
eíl: prefque toujours incapable de nous y con–
duire par lui-meme. Eclairé par l'obfervation de la Nature, il peut entrevoir les caufes des
phénomenes: mais c'eíl au caIcul a aíflirer pour ainli dire l'exiíl:ence de ces caufes, en dé–
terminant exaB:ement les effets qu'elles peuvem produire
t
&
en comparant ces effets p'vec
ceux que l'expérience nous découvre. Toute hypothefe dénuée d'un rel fecours acquiert
rarement ce degré de certitude, qu'on doit toujours chercher dans les Sciences naturelles,
&
qui néanmoins fe trouve li peu dans ces conjeB:ures frivoles qu'on honore du nom de
Syíl:emes. S'il ne pouvoit y en avoir que de cette efpece , le principal mérire du Phylicien fe–
roir,
a
proprement parler, d'avoir l'efprit de Syíl:eme,
&
de n'en faire jamais. A l'égard de
l'ufage des Syíl:emes dans les autres Sciences, mille expériences prouvent combien il ef!:
dangereux.
La Phylique eíl: done uniquement bornée aux obCervations
&
aux caIculs; la Medecine
él
l'hiíl:oire du corps humain, de fes maladies ,
&
de leurs remedes; l'Hiíl:oire Naturelle a la
defcription détaillée des végétaux, des animaux,
&
des minéraux ; la Chimie
él
la compo–
útion &
a
la décompolition expérimentale des corps: en un mot, toutes les Sciences ren–
fermées dans les faits autant qu'illeur eíl poffible ,
&
dans les conCéquences qu'on en peut
déduire, n'accordent rien
a
l'opinion, que quand elles y fom forcées. Je ne parle point de
la Géomérrie , de
l'
Aíl:ronomie,
&
de la Méchanique , deíl:inées par leur nature a aller tou–
jours en fe perfeRionnant de plus en plus.
On abuCe des meilleures chofes. Cet efprit philofophique, ú a la mode aujourd'hui, qui veut
toutvoir
&
ne rien Cuppofer, s'eíl: répandu jufques dans les Belles-Lettres; on prétend meme
qu'il eíl: nuilible
a
leurs progres,
&
il
eíl: difficile de fe le diffimuler. Norre fiecle porté
a
la combinaifon
&
a l'analyfe
J
femble vouloir introduire lesdifcuffions froides
&
didaRiques
dans les chofes de fentiment. Ce n'eíl pas que les paffions
&
le gout n'ayent une Logique qui
leur appartient: mais cette Logique a des principes tout différens de ceux de la Logique
ordinaire: ce font ces príncipes qu'il faut démeler en nous,
&
c'eíl:, il fau! l'avoüer, dequoi
une Phílofophie commune efi: peu capable. Livrée toute entiere a l'examen des perceptions
tranquilles de l'ame, íl luí eíl: bien plus faci1e d'en démeler les nuances que celles de nos
paflions, ou en généra1 des [entimens vifs qui nous affeRent;
&
comment cette efpece de
{entimens ne feroit-elle pas diffici1e
a
analyfer avee juíleífe? Si d'un coté, i1 faut fe livrer
a
eux pour les connoitre, de l'autre
J
le rems
OU
l'ame en eft affeB:ée eíl celui
OU
elle peut
l~s
étudier le moins. II faut pourtant convenir que cer efprit de difcuffion a contribué a
alfranchir notre litrérature de l'admiration aveug1e des Anciens; il nous a appris a n'eíl:imer
en eux que les beautés que nous ferions contraints d'admirer dans les Modernes. Mais c'eíl
peut- erre auffi a la meme fource que nous devons je ne fais quelle Méraphyúque du
cceur, qui s'eíl: emparée de nos théarres; s'il ne falloit pas l'en bannir entierement, encore
moins falloit-i,ll'y laiífer régner. Cette anaromie de l'ame s'eíl: gliífée jufque dans nos
C011-
verfations; on y diíferte, on n'y parle plus;
&
nos fociérés om perdu leurs principaux
agrémens , la chaleur
&
la gaieté.
*
M, \'Abbé
de CondilJac, de I'Académie royate des Sciences de Prufre, dans Con
Trailédet SyfUmu.