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x

DISCOURS PRELIMINAIRE

il eíl: peut

~tre

vrai de dire qu'il n'y a prefque point de fcience ou d'art dom on ne put

a

la

rigueur,

&

avec une bonne Logique, infuuire l'efprit le plus borné , parce 'lu'il

y

en a

peu dont les propolitions ou les regles ne puifient erre réduites

a

des notions Úmples,

&

dllpofées entre elles dans un ordre

f'i

immédiat que la chaine ne fe trouve nulle part inter–

rompue. La lemeur plus ou moins grande des opérations de l'efprit exige plus ou moins cette

chalne, & l'avantage des plus grands génies fe réduir

a

en avoir moins beioin que les au–

tres, ou plutot 3. la former rapldemem

&

prefque fans s'en appercevoir.

La fcience de la communication des idées ne fe borne pas

a

mettre de l'ordre dans les

idées memes; elle doir apprendre encore

a

exprimer chaque idée de la maniere la plus

nette qu'il eíl: poffible ,

&

par conféquem

a

perfeél:ionner les lignes

qui

{ont deíl:inés a la

rendre : c'eíl: auffi ce que les hommes om fait peu a peu. Les langues, nées avec les

fociétés, n'ont fans doure, été d'abord qu'une colleél:ion aífez bifarre de íignes de toure

efpece; & les corps

na~rels

qui tombent {ous nos fens om été en conféquence les pre–

miers objets que 1'on ait déíignés par des noms. Mais, aurant qu'il eíl: permis d'en juger ,

les langues dans cette premiere origine, deíl:inée a l'ufage le plus preífant, ont du etre fort

imparfaites, peu abondames,

&

aífujettiesa bien peu de principes certains;

&

les Arts ou les

Sciences abfolumentnéceífaires pouvoient avoir fait beaucoup de progres, lorfque les regles

de la diaion

&

du íl:yle étoient encore

a

naltre. La communication des idées ne foufiroit

pourtant guere de ce défaut de regles,

&

meme de la difette de mots; ou plutot elle n'en

fouffroit qu'autant qu'il étoit néceífaite pour obliger chacun des hommes a augmenrer fes

propres connoiífances par un travail opiniatre, fans trop fe repofer fur les autres. Une

communicanon trop facile pellt tenir quelquefois l'ame engourdie,

&

nuire aux effortS

dont elle feroit capable. Qu'on jette les yeux fur les prodiges des aveugles nés,

&

des

fourds

&

muets de naiífance; on yerra ce que peuvent produire les reífons ae l'e{prit, pour

peu qu'ils foient vifs

&

mis en aél:ion par des difficultés

a

vail1cre.

Cependant la facilité de rendre

&

de recevoir des idées par un commerce mutue1, ayant

auffi de ron coté des avantages incomeíl:ables , il n'eíl: pas {urprenant que les hommes ayenr

cherché de plus en plus

a

augmenter cette facilité. Pour cela, ils ont commencé par réduire

les íignes aux mots, parce qu'lls font, pour ainli dire, les fymboles que l'on a le plus ai{ément

fous la main. De plus, l'ordre de la génération des mots a fuivi 1'ordre des opérations de

refprit: apres les individus, on a nommé les qualités fenlibles, qui, fans exiíl:er par elles–

memes, exillent dans ces individus,

&

{ont communes

a

plufteurs : peu-a-peu ron eíl: enfin

venu

a

ces termes abfuaits, dont les uns fervem a lier enfemble les idées, d'autres

a

déftgnet

les propriétés générales des corps, d'autres

a

exprimer des notions purement [piriruelles.

Tous ces termes que les enfans fom fi long-tems a apprendre, ont couté fans doute encore

plus de tems a trouver. Enfin réduifanr l'uIage des mots en préceptes, on a' formé la Gram–

maire, que 1'0n peur regarder comme une des branches de la Logique. Eclairée par une

Métaphyfique fine

&

dé1iée, elle démele les nuances des idées , apprend

a

diíl:inguer ces

llUances par des fignes différens, donne des regles pour faire de ces fignes l'u[age le plus

avantageux, découvre fouvent par cet e[prit philofophique qui remonte 3. la fource de

tour, les rallons du choix bi{arre en apparence, qui fait préférer un figne

a

un atltre,

&

ne laiífe enfln

a

ce caprice national qu'on appelle u{age

J

que ce qu'elle ne peut abfolumem

lui otero

Les hommes en [e communiquant leurs idées, cherchem auffi

a

fe communiquer leurs

paffions. C'eíl: par l'éloquence qu'ils y parviennent. Faite pour parler au [entiment, comme

la

Logique

&

la. Grammaire parlent

a

l'

e[prit, elle impofe filence

a

la rallon meme;

&

les

prodiges qu'elle opere [ouvent entre les mains d'un feul [ur tome une Nation, [ont peut–

etre le témoignage le plus éclatant de la [upériorité d'un homme fur un aurre. Ce qu'il

ya de fmgulier, c'eíl: qu'on ait cru {uppléer par des regles

a

un talent

{i

rareo C'eíl:'3. peu–

pres comme fi on eut voulu réduire le

~éni~

en préceptes. Celui qui a prétendu le premier

qu'on devoit les Orateurs a 1'art, ou n étoit pas du nombre, ou étoit bien ingrat envers la

Nature. Elle [eule peur créer un homme éloquent; les hommes fom le premier livre qu'il

cloive étudier pour réuffir, les grands modeles fom le fecond;

&

tour ce que ces Ecrivain

il1ufues nous om laiífé de philofophique

&

de réfléchi fur le talent de 1'Orateur, ne prouve

que la difficulté de leur re1rembler. Trop éclairés pour prétendre ouvrir la carriere, ils

ne vouloient fans doute qu'en marquer les écueils. A l'égard de ces puérilités pédantefques

qu'on a honorées du nom de Rhétorique, ou plutot qui n'om [ervi qu'a rendre ce nom ridi–

cule,

&

qui font a

l'

Art oratoire ce que la Scholaíl:ique eíl: 3. la vraie Philo{ophie, elles

ne {om propres qu'a donner de l'Eloquence l'idée la plus fauífe

&

la plus barbare. Cepen–

dant quOlgu'on commence aífez univer{ellemem a en reconnoltre l'abus, la poífeffion

OU

elles

font depUls long - tems de former une branche dillinguée de la connoiífance humaine, ne

permet pas encore de les en bannir: pour l'honneur de notre difcernemem , le tems en Vlen.

~ra

peut-etre un jour.