D E S E D 1 T E V R S.
"xii;'
Pendant que les Arts
&
les Belles-Lettres étOient en honneur, il s'en falloit beaucoup
que la Philofophie fh le meme prognes, du moins dans cbaque nation prife en corps; elle
n'a reparu que beaucoup plus tardoCe n'efr pas qu'au fond il [oit plus aifé d'exceller dans les
Belles-Lemes que dans la Philo[ophie; la iupériorité en tOut genre eíl: également difficile
a
atteindre. Mais la leEl:ure des Anciens devoit cOl1tribuer plus promptemenr
a
ravance..
ment des Belles-Lettres & du bon gout, qu'a celui des Sciences naturelles. Les beautés lit–
téraires n'ont pas befoin d'etre vúes long-tems pour etre [enries;
&
corome les horomes
fentent avant que de penfer, ils doivent par la tneme raifon juger ce qu'ils fentent avant
de juger ce qu'ils penfent. D'ailIeurs, les Anciens n'étOient pas
a
beaucoup pres ú parfaits
comme Philo[ophes que
Comme
Ecrivains. En effet, quoique dans l'ordre de nos idées les
premieres opérations de la raifon précedent les premiers efforts de l'itnagination, ceUe-ci;
quand elle a faít les premiers pas, va beaucoup plus vIte que l'autre: elle a l'avantage de
travailler fur des objets qu'elle enfante; au lieu que la rai[on forcée de [e borner a ceuJe
qu'elle a devant elle,
&
de s'arreter achaque iníl:ant; ne s'épuife que trop [ouvent en re..
cberches infruEl:ueufes. L'univers
&
les réflexions [ont le premier lívre des vrais Philofophes ;
&
les Anciens l'avoient fans dollte étudié: il étoit donc néceffaire de faire comme eux;
on ne pouvoit fuppléer a cette étude par celle de leurs Ouvrages, dont la plupart avoient
été détruits,
&
dont un petit nombre mutilé par le tems ne pouvoit nous donner fur une ma-
riere auffi vaíl:e que des llotions fort incertaines
&
fort altérées.
.
La Scholaíl:ique qui compofoit tOute la Science prétendue des úedes d'ignorance , nuifoit
encore aux progres de la vraie Philofophie dans ce premier úede de lumiere. On étoit per–
fuadé depuis un tems, pour ainn dire, immémorial , qu'on
poíféd~it
dans toute fa pureté
la dofuine d'Ariíl:ote, commentée par les Arabes,
&
altérée par miIle additions abfurdes
ou puériles;
&
on ne penfoit pas meme
a
s'aífurer
{i
cette Philofophie barbare étoit réeHe–
ment celle de ce grand homme, tanr on avoit
con~u
de refpea pour les Anciens. Ceíl:
ainn qu'une foule de peuples nés
&
affermis dans leurs erreurs par l'éducation , fe croyent
d'autant plus fincerement dans le chemin de la vériré , qu'il ne leur eíl: meme jamais venu
en penfée de former fur cela le moindre doure. Auffi, dans le tems que pluneurs Ecri–
vains, rivaux des Orateurs
&
des Poetes Grecs , marchoient a coté de leurs modeles, ou
peut-etre meme les furpaífoient; la Philofophie Grecque, quoique fort imparfaite, n'étoit
pas l1'leme bien conhue.
Tant de préjugés qu'une admiration aveugle pour l'antiquité contribuoit a entretenir,–
fembloient fe fortifier encore par l'abus qu'oíOient faire de la foumiflion des peuples queL–
quesThéologiens peu nombreux, mais puiífans: je dis peu nombreux, car je fuis bIen éloi–
gné d'étendre a un Corps refpeEl:able
&
tres-éclairé une accufation qui fe borne a quelques.
uns de fes membres. On avoit permis aux Poetes de chanter dans leurs Ouvtages les divinités
du Paganifme , parce qu'on étoit perfuadé avec raifon que les noms de ces divinités nepou–
voient plus etre qu'un jeu dont on n'avoit rien a craindre. Si d'un coté, la rehgion des
An..
ciens, qui animoit tout, ouvroit un vaíl:e champ
a
l'imagination des beaux Efpms; de l'auo
tre, les principes en étoient trop abfurdes, pour qu'on appréhendat de voit reífufciter Ju–
piter
&
Pluton par quelque feEl:e de Novateurs. Mais l'on craignoit, ou 1'on paroiífoit crain–
dre les coups qu'une raifon aveugle pouvoit porter au Chrifuanifme : comment ne voyoir–
on pas qll'il n'avoit poin! a redouter une atraque auffi foible? Envoyé du cíel aux hom'"
mes, la vénération ú juíl:e
&
ú ancienne que les peuples lui témoignoient , avoit été ga–
rantie pour toujours par les promeífes de Dieu meme. D'ailleurs, quelque abfurde qu'une
religion puiífe etre (reproche que l'impiété feule pem faire
a
la notre) ce ne font jamais
les Philofophes qui la dérruifent: lors meme qu'ils enfeignenr la vérité, ils fe conrentenr de
la momrer fans forcer perfonne a la reconnoltre ; un tel pouvoir n'appartient qu'a l'Etre
tollt-puiífant: ce [om les h01llmes infpirés qlli éclairent le peuple ,
&
les enmouúafl:es qui
l'égarent. Le frein qu'on eíl: obligé de mettre a la licence de ces derniers ne doit point nuire
a
cette liberté
{¡
néceiTaire a la vraie Philofophie ,
&
dont la religion peut titer les plus grands
avantages. Si le Chrifl:ianiÚlile ajoute a la Philofophie les lumieres qui lui manquent , s'il
n'appartient qu'a la Grace de foumettre les incrédules , c'eíl:
a
la Philofophie qu'il eíl: ré.
fervé de les réduire au úlence;
&
pour aífurer le triomphe de la Foi , les Théologiens dohe
nous parlons n'avoient qu'it faire u{age des armes qu'on auroir voulu employer contre elle.
Mais parmi ces memes hommes, quelques-uns avoient un intéret beaucoup plus réel de
s'oppofer
a
l'avancement ole la Philo[ophie. Fauífemem perfuadés que la croyance des peu–
pIes eíl: d'autant plus ferme, qu'on 1'exerce [ur plus d'objets diíférens, ils ne fe conrentoienf
pas d'exiger pournos Myfreres la [oumiffion qu'ils méritent, ils cherchoient
a
ériger en dog'"
mes leurs opinioas particulieres;
&
c'étoit ces ojJ)inions memes, bien plus que les dogmes,
qu'ils vouloient mettre en fureté. Par la ils auroient porté
a
la religion le coup le plus
ter~
rible) ú elle
.en!
été l'ouw.age des hommes; car il étoit
b.
c¡aindre que leurs 9pinions étant
v_ •