DEN
la tragedie pathetique, Arifi:ote prfferoit un
dl11oui11ie11t
funeCle
a_u perfo_nnage
interelfant ; pour la
tragedie
morale ,
ii
vouloit, comme Socrate
&
Platon , que le
denot~EHIC/11
flit conformt a la Joi , c'eel-a-dire,
a
Cetre
maxime ,
11t bona bme, malo male
fit.
D_ans-
la rragedie fimple,
le
perfonnage interelfant
·contrnue d'etre malhc:urcux jufqu'a la fi n,
&
le
de-
11orre111ent
met
le comble
~
fon
infortune.
II
ne Iailfe
pas d'y avoir clans
Jes
fables fimples des momens ou
la
fortune femble changer de
f~ce
,
&
ces demi-revo–
lurions produifcnt des alternatives d'efperance
&
de crair..
te ·
tres-p<theuques. C'efi:
)'avantage des paffions de
. rendre par leur flux
&
reflux l'aCl:ion indecife
&
flot–
cante; mais dans Jes fujc:ts ou la fatalite domine, ce
balancement ell: plus difficile
auffi dl:-il rare chez
Jes anciens.
'
Dans la tragedie implexe, le fort des perfonnages
change .au
de11011emt11t
par une revolution qu'on ap–
pelle
piripitie;
&
cette revolution fe fait de trois ma–
nieres,
1°.
de la profperite au malheur;
2°.
du mal–
heur
a
la profperite,
&
dans ces deux cas
el
le ell:
fimple ;
3°·
de l'un
a
l'autre de ces deux etats en
meme terns
&
en fens contraire , alors la revolution
eel double;
&
cdlc:.ci peut encore s'operer de deux
fa~ns ,
OU
par Je malheur des mechans
&
)e fucces
des bans , ou par le malheur des bans
~
le
fucces
des mechans.
• Si !es perfo nnages oppofes clans l'aCl:ion etoient·tous
deux bans
OU
taus deux mechans ; dans le premier
eas nulle rnoralite,
&
un partage d'intcret qui n.: laif–
~eroit
rien defirer ni rien craindre; clans le fecond nul
mtere_t
_&
p_refque
~ulle
rnoralite , puifque de la re–
volm1on ·qui rendro1t l'un heureux
&
l'autre malheu–
reux, ii n'y auroit rien
a
conclure; ainfi cette com–
binaifon doit etre exclue du theatre.
Un
di11ot1eme111
ou apres avoir tremble pour Jes bans,
on lcs verroit fuccornber aux mechans , feroit pathe–
tique , mais revoltant : c'ell:
le plus adieux tiomphe
du crime.
II
y
en a de grands exemples au theatre ;
tnais Jes larmes qu'ils font repandre font ameres '
&
la douleur dont ils dechirent l'ame, n'efi: pas de cel–
les qu'on fe plait
a
fon tir.
Le
denouement
qui fans etre funefie
a
l'innocence,
feroit heureux pou( le crime , quoique mains adieux
que le precedent, ell: encore plus mauvais , parce
q u'il n'efl: poinc pathetique.
U n
di11011ement
terrible
a
la fois
&
touchant, eel ce–
lui
ou
par l'afcendant de la facalite
&
fans l'entremife
du crime, !'innocence, la bonte foccombe , foit qu'el–
le vienne d'etre heu reufe, foi t que de calamite en ca–
lamite elle arrive
a
l'evenement qui en ell: le comble.
M ais cette efpece de fable n'a aucunc moralite.
Voyez
T RAGEDIE ,
Suppl.
Un
dinouemem
mains tragique, mais confolant apres
une aCl:ion terrible , c'c:fi: lorfque !'innocence long-rems
menacee
&
perfecutee, foit par le fort , foit par Jes
hommes, fort triomphante du danger ou du malheur
0 \1
ellc a gemi;
&
la joie que cette revolution cau–
fe efi: t'ncore plus vive, fi en merne terns qlle !'inno–
cence triomphe on voir le crime fuccomber.
De toures ces cfpeces de
di1101umens,
on voit cepen–
dant qu'il n'en efl: aucun qui ne manque ou de pa–
thetique ou de rnoralite ;
&
ce n'efi: qu'en pallier le
vice que d'attribuer Jes uns
a
la tragedie pathetlque,
Jes autres
a
la cragedie morale :
ii n'y a point deux
fortes de tragedie ;
&
la meme , pour etre parfaite ,
doit erre morale
&
pathetique. Or, c'eel cc qu'on ob–
tenoit difficilement du fyfl:eme ancien ,
&
ce qui re–
fulte com naturellement du fyfl:eme moderne. L'hom–
me malheureux par des caufrs qui lui fon t etrange–
res, n'efi: d'aucun exemple; l'homme malheureux par
fon crime , n'eel point interdfant;
&
quant aux fau–
tes involontaires qu'Arielote a imagi nees, pour tenir
le milieu entre le crime
&
!'innocence, elles deguifent
foiblement l'iniquite des malheurs tragiques. M ais l'hom–
me entraine daus
le
malhcur par une paffion qui l'c-
.
D E N.
655
gare,
&
qui fe con'"ilie avec un fond
de
bonte naru–
rclle, efi: un exemple
a
la fois terrible , touohanc
&
~noral
:
ii infpire la crainte fans donner de l'horreur ;
ii
excite la compallion fans revolter contre la deelinfr ;
pour faire fremir
&
pleurer, ii n'a pas bcfoin d'etre
en butte au crime: fon ennemi , fon tyran, fon bour–
reau ell: dans le fond de fon cc:eur ;
&
lorfque la paf.
lion le
tourmente , l'egare
&
l'entraine .,nfin dans un
abymc: de calamite, plus
le
tableau ell: terrible
&
tou–
chant ,
&
plus l'cxemple eel falutaire.
·Tel d\:
l'avan–
tage du fyelcme moclerne fur l'ancien
a
l'egard du
de–
nouement
funcll:e. D'un autre cote , une pamon com–
patible avec la bonte naturdle ,
&
dont l'egarernent
fait l'excufe, n'c:Cl pas odieufe dans
fes
exces , com–
me la mechancete , qui, de frns froid , medite
&
con–
fomme le crime. L 'homme peut done form de:
l'aby–
me ou l'entraine fa paffion , par un
de11oue//le1tt
heureux,
fans que l'impunite , fans que le bonheur meme foit
adieux
&
revoltant ; au conrraire, apres l'avoir vu
long-terns fouffrir,
&
avoir foufferr avec Jui, le fpe–
Cl:ateur refpire, foulage par
fa
delivrance;
&
ce mou–
vement de joic: efi: delicieux , apres
de
longues allerna–
tives de crainte, d'efl?erance
&
de compaffion. Ainu
dans le fyeleme des paffions humaines , ces deux fortes
de
dbtouemens
malheureux
&
heureux, ont chacun leur
avantage:, l'un d'etre plus pathetique,
&
l'autre plus
confolant ; mais ce dernier meme a
fa
moralite, car
la
revolmion du malheur au bonheur n'arrive qu'au
mo·ment o\i
le
danger eel extreme,
&
qu'on
a
eu tout
le terns d'en frem ir;
&
par !'evidence de ce danger,
la paffion qui en e!l: la caufe a fait fon impreffion
de
craintc.
Lorfqu'on reprochoit
a
Euripide d'avoir mis fur le
theatre un mechant , un
irnpie comme lxion ,
ii re–
pondoit :
auj/1 11e l'aije jamais lai.ffe fortir , queje ne l'aie
attache
&
c/oue bras
&
jambes
a
Ulle
roUe»
C'efl:
Cf}
effi:t
aiofi qu'il fam traiter fur la fcene ks caraCl:eres odieux:
rnais ceux qui font plus dignes
de
pitie que de haine,
peuvent obtenir·grace aux yeux des fpeCl:ateurs •
&
lors
meme qu'une paffion funelte les a rendus coupables , la
tragedie peut elre
a
leur egard mains rigourtufe que
la Joi.
En fin , par la nature mcme des
fujets anciens,
!'incident qui produifoit
la refolution decifive venoit
prefq uc: toujours du dehors ; au lieu que clans la con–
ftitution de la tragedie moderne, toutc I'action nailfant
du fond des
caraCl:er~s
&
du combat des paCiions, c'ell:
communement leur dernier effort
&
l'evenemenc qui en
rffulte qui JJroduit le
denouement,
foit qu'il arrive fe–
lon l'artente ou contre l'attenrc des fpe.:lateurs ;
&
je·
n'ai pas befcin de dire que celui-ci eel preferable.
/loy.
R tvoLUTION ,
Suppl.
Dans la comedic le
denouement
ell: de meme la fo.
lution de !'intrigue,
&
plus ii ell: inattendu
&
natu·
rellemcnt amene , plus ii ell: agreable. Son grand me·
rire efi: d'achever
le
tableau du ridicule par un trait
de force que la furprife rende plus vif
&
plus piquanr,
ou par uno firnation qui acheve de rendre meprifablc:
&
rifible le vice que l'on a joue : le
denouement
de !'E–
cole des maris en efl: le plus parfait modelc: ; celui de
George Dandin
&
celui des precieufes ridicules font
encore du meilleur cornique ;
&
quant
a
l'effet moral,
celui du Malade imaginaire eel fuperieur
ii
taus.
ul
poere .comique clans aucun terns , n'a cte comparable
a
Moliere, meme
da~s
cette parrie que l'on regarde
comme fon cote foible;
&
en efret, clans la compo–
fition
li
profondement reflechie de fes intrigues , ii
p~·
ro1r quelquefois s'etre peu occupc du
dinouement
;
ma1s
Arielophane, Terence
&
Plaute s'en occupo1ent
e~c?re moins ,
&
!'importance qu'on
y
attache ell: une 1dee
de nos pedans modernes.
.
L e jffuite Rapin qui faifoit peu de cas de Molie–
re, difoit :
ii
efl
aifl de lier 1111e
i11trig11e, c'ejl l'ouvrage
de l'i111agi11atio11; mais le
denouement
ejl l'ouvrage totlt
p11r du jttgement.
Ah, pere Rapi_n
!
donnez.nous en done
des intrigues comiques bien hees ; c'eel cc qui nous
manque ,
&
ks denoucra qui pourra.