1
VRA
.l'ombre ou l'apparenc:e des chofes pour les chofes
m!mes; & le phantome qu'ils fe forment, pour la
vérité qu'ils croient difcerner.
Par rJpport
a
la volonté;
x•.
ti
c'eft un ho?,lme
qui fe
f:~it
une habirude de parler
auc~ement
qu
d
ne
penfe;
2.•.
fi
l'oo a éprouvé qu'il lui échappe de
n_e
pas dire exaélement la vérité,
3°.
ti
l'on
apper~OJt
~ans
lui ?Uelque intérc?t
a
diffimuler: on dOJt alors
- itre plus, réfervé
a
le croire.
A
l'égar<t des chofes qu'il d!t,
x~.
fi
elles ne fe.
fuivent & ne
s~accordent
pas b1en;
2.
0 •
fi
elles con–
víennent mal avec ce quí nous a été dít par d'autres
perfonoes auffi dignes de foí;
3•.
ti elles
(~nt .
pa!
elles mc?mes difficiles
a
croire,
OU
en des fllJ\!CS
OU
il ait pu aifément fe
méprendre~
.
. Ces circonftances contraires rc:ndent
vrailfombla–
bl~
ce quí _nous ell rapporté favmr,
1~.
quand nol!s
connoiffons celoi qui nous parle pour c?rre d'un efprtt ·
jufte & droit, d'une imagioation réglée, & nulle•
mene ombrageufe, d'une ftncérité exaéle & conllan–
te;
29.
quand d'ailleurs les
c_irc~nllances
des
~h~fes
qu'.il dit ·ne fe démentent pomt eotre ellc:s; maJS s ae•
cordeot 'avec des faits ou des príncipes dont nous ne
pouvons douter.
A
mefure que ces mc?mes chafes
font rapportées par un plos grand nombre' de per–
fonnes
la
tJrai(embla11ce
augmeotera auffi; elle poor–
ra
mc?~e
de
la force 'par venir
a
un
fi
haut degr,é.
qu'íl fera impoffible de fufpendre notre jugement,
a
la vue
de
tanr de circonllances qui reffembleot au
vrai . Le dernier degré de la
vraiftmblance
eft cer–
titucfe, comme fon premier degré eft doure;. c'eft
~-dire
qu'ou finír le doute, la commence la
vr1tifim·
h/
4
nu,
&
ou elle finít,
la commence la certitude.
Ainti les deu" e"trc?mes de la
Vl·•iflmblance
font le
doute & la certitude; elle occupe tour l'iotervalle
quí les fépare, & cet intervalle
s'~ccroit d'~uunt
plus
_gu'íl ell parcouru par des efpms plus
hns
&
plus
pénérraos. Pour des efpríts médiocres
&
vulgaires,
cet e!pace ell toujours forc étroir;
a
peine favent-ils
dif'cerncr les nuauces du vrai
&
du vraífemhlable.
L'ufage le plus naturel & le plus générál du
vra~·
femblable ell de fuppléer pour le vrai : enforte que
ta
ou notre efprit ne fauroit atteindre le vrai, il at–
teígne
du
moins le vraifemblable, peur s'y repofer
comm.e daos la tituatiou la plus voífine du vrai.
1°.
A
l'égard des chafes de pure fpéculatíon, il
eft bon d'etre réfervé a ne porter Ion jugement d<JOS
les chafes vraifemblables,
qu'apr~s
une grande at–
tention: pourquoi? paree que
1'
apparence du vraí
fubfille alors avec une apparence de faux, qui peut
fufpendre nutre jugemenr jufqu'a ce que la volonté
le dérermioe. Je dis le fufpendre, car elle n' a pas
la
faculté de déterminer l'efprit
a
ce qui parotr le
moins vrai. Ainfi dans les choles de pure fpécula–
tion, c'ell tres-bien fa ir de ne juger que lorfque les
degrés de
'IJ1'4i[emblan_u
font tres-
confidérable~,
&
qo'ils
font prefque dilparoitre les apparences
du
faux,
& le danger de fe trornper.
_ En effet dans les chafes efe pure fpéculatioo ,
il
ne
fe rencontre nul inconvéníent • ne pas porter fon
jagement, lorfque l'on cuurr quelque ' hafard de
le
nomper: or pourquoi juger, quaod d'un córé on
peut s'eo dífpenfer,
&
que d'un autre c0t6 en ju–
geant, on s'eJCpofe
a
donner dans le faux
~
il
fau–
droic dor¡c s'abftenir de juger fur la pl_ílpart des cha–
fes? n'efi-ce pas le Caraé\ere d'Uil flupide
~
tOUt•aD•
contraire, c'ellle
cara~ere
d'un efprit fenfé,
~
d'un
vrai philofophe,
de
ne juger des objcts que par leur
éviden(;e , quaod il ne
fe
trouve nulle · raifon d'en
ufer autrement: or
il
oe &'en trouve aucune de joger
Qans les chafes de pure lj>éculation, quaod elles ne
font que vraifemblables •
Cependant cette regle ti judícieufe daos les cho–
f~s
de pure fpécularion, n'eft plus la mc?me daos les
c;hofes de prarique
&
de conduíte, oq il . faut par
néceffiré agir ou ne pas
agi~.
Q.uoíqu'on ne doív(:
pas prendre le vrai pour le vraifemblable, on doir
néanmoins fe
dé~errniner
par rapport aux chafes de
pratíquq,
a
s'en
conte:n~r
comme du vraí, n'arrc?..
tant les yeux de l'efprit que fQr les apparences de
véríté, qui daos le vraifembbble furpaílent les
ap•
parenc~s
du faux .
La ,raifon
de
ceci ell
~vidente,
c'ell que
p¡¡r
rap...
port
a la prati'lue.
il
fa
uf
agir, & pllr conféquenr·
prendre
un
part1:
11
l'on demeuroit
ind6t~rminé
on
rJ'
a¡iroit jamais_; ce 9ui feroit le plus pernideu"
comme le plus tmpertment de rous les partis. Ain(J
pout
ll~
plts
d(lm~urer indér~rmin~,
il
f~tur ~omme
VRA
fermer les yeux
a
ce q'ui pourroit paroftre de vrai
daos le parti contraire
a
celuí qu'on embra!Ie aéluel..l
lement.
A
la vériré
dan~
la délibératíon on ni! peut
regarder de trap pres
au"
diverfes
faces ou appa–
rences de vrai qui fe rencontrent de
c~té
&
d'au•
tre , pour fe bien a!Iurer de quel cOté ell
le
vrai~
femblable; maís quand
on
eo ell une foís afiuré, il
faut par rapport a la pratique, le regarder comme
vrai,
&
ne le poínt perdre de vue: fans quoí on com–
beroit néceffairement daos
1'
inaélion ou daos
1'
ih–
conftance; caraélere de petíteffe ou de foiblefie d'ef–
prit.
Da"s la néceffité
ou
l'on eft de fe déterminer pour
agir ou ne pas agir, l'indétermination ell toujours
un défaut de l'efprit , quí au milieu des faces diver–
fes d'on
m~me
objet, ne difcerne pas lefquelles doi·
vent l'emporrer fur les autres . Hors de ce beloín,
on pourroit tres-bien, & fouvent avec plus de fa·
geffe , demeurer indéterminé entre demc opiníons qui
ne font que vraífemblables.
'
VRAISEMIILANCE,
(
Poiji~ .
)
La premíere regle
que doit obferver le poere, en traítant les fujets qutl
íl a choitis, ell de n'y rien inférer qui foit contre
la
vr•iftmblallce.
Un
fait
vraifemblable ell un fait
poffible dans les círcooJlances ouon le met fur la fcene.
Les tiélions fans
-r.ort~ifimblance,
&
les evéoemens
prodigieux
a
l'exces' dégoílrent les leéleurs dont le
jugement ell formé.
11
y a beaucoup de chofes, dit
un
grand critique, ot) les poeres
&
les
peintre~
peu–
vent donner carriere
a
leur imagination;
il
ne faut
pas toujours
les refierrer daos la raifon étroite
&
rigoureufe; mais íl ne leur eft pas permis de
m~ler
qes chafes incompatibles, d'accoupler
les oifeaux:
avec les ferpeos, les tigr-es avec les agneaux •
Sed
non
111
placidis
co~ant
immiti11, Hon
ut
s~rpentes
ll'llibus
~mlinentllr,
tigribus agni
.
Art poétiq. v.
u..
Si
de telles licences révoltantes font défendues
aux poeres, d'un autre
~Oré
les événemens ou il ne
regne rien de · furprenant, · fcit par la ooble()e du
fenriment, foít par la précifion de la penfée, foit
par la
ju~effe
de l'expreffion, paroífient plats; l'al·
líance du inerveilleux
&
du vraifemblable, ou l'un
& l'aurre ne perdent point leúrs droits , ell un
ta·
lent qui diftingue les poetes
Je
la clafie de Virgile,
des yertiticateurs fans invention, & des pactes ex–
travagaos; cepeodanr un poéime fans merveílleu",
dé~
plait eocore davanrage qu'un poemc fondé fur une
fuppofition fans
vrai~mblante
.
Comme ríen ne J e rr uic plus la
vraiftmblanu
d' un
fair, que la connoiUance certaine que peut avoír le
fpeéhteur que le fait ell arriv6 aurrement que le
poere
Qe
le
racconre; les poetes quí contredífent
dans leurs ouvrages des fa its hilloriques tres-eonnos,
nuifent be¡¡ucoup
a
la
'UTiljfimb/all&e
de Jeurs
fic–
tiOOS. Je fais bien que le
fau" ell quelquefoís p·lus
vraifemblable que le naí , mais nolJS
ne
réglons pas
notre croyance des faits fur leur
vraifimbltlnct
mé•
taphyfique,
ou
for
11!
pié de leur poiJiblliré, c'eft fur
·la
'CJTififtmblatWe
httlorique . Nous o•examínons pas
ce qui doit arriver plus probablement, mais ce qoe
les témoins nécefiaires, & ce que les hill.-,riens ra–
contenr;
&
c'eft leor récít,
&
non pas la
t~raifim·
blance,
qui dérermine notre croyance. Ainti noos
ne croyons pas
l'~vénemeot
quí
ell
le plus vraífem–
blable
~
le plus poffible,
rnai~
ce qn'íls nous tfiftmt
e!
ere
véritabl~ment
arrivé. Lenr cfépofition étant
la
regle de notre croyance fur .Jes faits , ce qui
peu~
etr~.
conrraire
¡}
leur d4!potitíon. ne fauroít paroitr.e
vra1lemblable: or comme la véríté eft l'ame de l'ht•
floire, la
tJr4ifm•blt~nu
eft !'ame de la poélie.
Je ne me pas néanmoins qu•i.l n'y ait des
'flrt~ifm~•
bl•n•es
rhéatrales, par e:rempl\: en matiere d'opé–
ra,
auxqu~lles
on ell obligé de fe prc?terj en accor•
danr cecee liberté aux poeres, 011 en elt payé par
les beaurés qu'elle le met en état de produire.
Il
Y
a des
vr•ifimhl•t~ces
d'une autre efpece pour
1'~popée; cepeodant il fal:Jt dans ce
gen
re mime, reo•
dre par· l'adrefie
&
le
g~nie,
les fuppofitions les plus
v~aífemblables
qa'il foit poffible, comme Virgile
a
faJe pour pallier la bifarrerie de ce cheval .énorme
que les Grecs. s'avifereot de conllruir-e pour fe ren-
Qre maitres de Troie.
·
Ces réflexions peuvent fuffire fur la
vr•ifimbl
ll.•"e.n
géQér¡al, la quetlion partituliere
du
n~ttl'Qq-
,b.la-
.
.
·
. b
le