L' UTOPIE
Néron; je doute fort que vous soyez applaudi.
Certainement, vous auriez mieux fait de vous hor–
ner
a
un role de personnage muet, que de .donner
au puhlic ce drame tragi-comique. Ce monstrueux
amalgame gaterait tout le spectacle, quand meme
votre citation vaudrait cent fois plus que la piece.
Un bon acteur met tout son talent dans ses roles,
quels qu'ils soient ; et il ne trouhle pas !'ensemble,
parce qu'il lui prend fantaisie de déhiter une tirade
magnifique et pompeuse.
»
Ainsi convient-il d'agir, quand on délihere sur
les affaires de l'État, au sein d'un royal conseil.
Si l'on ne peut pas déraciner de suite les maximes
perverses,
ni
abolir les coutumes immorales, ce
n'est pas une raison pour ahandonner la chose
publique. Le pilote ne quitte pas ·son navire, devant
la tempete, parce qu'il ne peut maitriser le vent.
»
Vous parlez
a
des hommes imhus de príncipes
contraires aux votres ; quel cas feront-ils de vos
paroles, si vous leur jetez brusquement
a
la tete
la contradiction et le démenti
?
Suivez la route
oblique, elle vous conduira plus s\J.rement au but.
Sachez dire la vérité avec adresse et
a
propos ;
et si vos efforts ne peuvent servir
a
effectuer le
bien, qu'ils servent du moins
a
diminuer l'intensité
du mal : car tout ne sera bon et parfait que lorsque
les hommes seront eux-memes bons et parfaits.
Et, avant cela, des siecles passeront.
»
Raphael répondit :
«
Savez-vous ce qui m'arriverait de procéder
ainsi
?
C'est qu'en voulant guérir la folie des
autres, je tomherais en démence avec eux. Je men–
tirais, si je parlais autrement que je ne vous ai
parlé. Le mensonge est permis peut-etre
a
certains
philosophes, il n'est pas dans ma nature. Je sais