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364

ANA

Par l'unité de ton

&

de cou\eur, on ne doit pas

. rntendre la monotonie; le ftyle peut erre

homo~ene

fans uniformicé. C'eíl: dans la variété des mouvemcms

&

des images que confilte la variété du íl:yle. Les tons

ciifférens dont je parle ' font a la tang ue ce que les

divers modes font a la mufique: chaque mode a fon

fylteme de fons an alogues encr'eux, chaque íl:yle a de

méme un cercle de mocs, de coms

&

de fi gures qui

Jui conviennenc,

&

Jont plufieurs ne conv iennent

q.u'a Jui. C'eft daos ce ccrcle que la plume de J'écr i–

vain doit s' exercer;

&

plus elle y conferve de liber–

té,

de viva{;icé

&

d'aifance, plus, daos ces

limites

iuoices, Je

íl:yle a de variété.

Le ton le plus :iifé a prendre

&

a

foutenir, apres

cdui du bas peuple, <;:'eíl: le ton de la haute éloquen–

ce

&

de Ja haute poéfie, parce qu'il cíl: donné par

les bons écrivains ,

&

qu'il ne déperid prefque plus

des caprices de l'ufage. Un homme au

fo~d

de fa pro–

vince peut, en ctudiant Racine , Fénélon

&

M. de

;voltaire, fe former au íl:yk hérolque.

Le ton Je plus <lifficile

a

faifir

&

a

obferver avec

j uíl:elfe, dl: celui 'du familier noble; parce qu'it eíl:

le

plus fujet de tous au x variations de

la

mode; que

les couleurs rn {onf au ffi délicates que chan¡;eames ;·

&

que pour les appcrcevoir il faut un fentimrnc tres-fin

&

habicudlcment exercé. C'efl: fur quoi ks gens du

monde font le plus éclairés

&

le moins indulgens. T ou–

te la fagacité de kur ef¡:irit femble appliquée

a

remar–

quer les expreflions qui s'éloignent de leur ufage; ou

plutór , fans étude

&

fans intention, ils en fonc frap–

pés, comme ._par iníl:iné1:,

&

les bicnf¿ances de íl:yle

ont en eux des j ugcs auffi féveres que les bienféan–

ces des mceurs. Voila pourquoi un ouvrage dans

l~

genre fa milier noble ne peut etre bien écrit' dans no–

tre lan gue , qu'a París ,

&

par un homme qui fe foit

formé au milieu de cette fociété choifie qu'on appel-

k

k

mMh

'

C'cíl: encare moins par la d iverlicé des tons , que

par l'incertitude

&

la nriation continuclle cie kurs li–

mites, qu'il eft d itficile d'obferver, en écrivanr , une

f.

arfaite

a11alogi4

de íl:y le. Parkr le langage fimple dt:

honncte bourgeois ,

fans comb r

jamais dans cclui

<lu bas peuple; parler le langage noble

&

familier de

la cour

&

du monde, fa ns s'ékver j ufqu'au con

de

la

haute éloquence, fans s'abaiffcr jufq'au ton bourgeois ;

donner

a

chacun la coukur

&

la nuance qu i lui d t

propre,

&

conferver fans monotonie cecee

analogie

con–

il:ante, daos

le

dégré de noblcffc ou de fimphc ité qui

lu i conviene: voila !'extreme d ifficulté.

A mefore qu'uoe laog ue fe polir,

&

que le gout

s'épu re, les divers

ítyles s' affoiblilfeot,

&

lcur cercle

fe rétrecit. Le goui: kur faifant

le

partage des

termes

&

des tours propres

a

chac un d'cux ' une partie de

la lang ue eíl: réli:rvée

a

ch acune des cl alfcs done nous

avons parlé , une partie aux ares

&

au x fcienccs, une

p arcie au barreau, une partie a la cha1re

&

aL1 x ou–

v rages myftiques; la prole meme cíl:

obl i~ée

de ceder

aux •vers une foulc d'txpreff10n s hardics

&

fortcs qui

l'auroienc animéc , ennoblic, élcvée, fi

l'u fage

les y

eut admifts.

Bien dex gens reg rettent la langue d'A miot

&

de

Montagne , comme plus riche

&

plus féconde : c'd l:

q u'elle adm<ttoir

ta us

les

tons. L es éc rivains foot

aujourd'hui les efcl aves de l'ufage; Amiot

&

Moota–

gne en érn ient les

rois.

O n a

prétendu que

la diverliré des tons dans le

laogage , cenoic

a

la diíl:iné1:ion

marqué~

des différen–

tcs claffes de citoyens daos une mooa rchie. Si cela

d t , heurcux l'écrivai n dont Ja lang ue eíl: celle d'uoe

républ ique.

L a meme

rai ío n nous fai t porter eo vie aux an–

ciens. Peut-etre lcurs

lao"ues avoient-el k s des coos

aum variés que

neme. 'Mais 1a gene

a.

1aque11e ils

étoient foumis ' par rapporc

a

l'1mo!ogie,

o'cft pas fen–

fible pour nous. Prelq ue rien ne nous fcmb le bas dans

l!s

~~rits

des G recs

&

d~s

L atins ; k s

m1ani;es

déli:

ANA

catet nous écñappent, les inégalités du llyle ont di–

fparu dans l'éloig nemenc, Nous

fomme~

bien juges de9

chofrs , mais nous ne le fommes plus

d~s

mots

1

&

ce n'eíl: gucre que fur parole que o.ous croyoos Té–

rence

&

Horace plus &légans que Plaute

&

Juvenal.

11

y

a de plus entre l'c:

xpreílion

&

la penf<'e , une

autre efpece

d'analogíe ,

&

cclJe.ci

dl: donnée ou par

la nature ou par l' habitude.

Quand la parole exprime un objet qui, comme

el–

le,

affeé1:e l'oreille , elle peut im iccr les fons par des

fons , la virelfe par la v1¡elfe,

&

la· lenteur par la

leiíteur, avec des nombres ar¡alog ues, Des articulations

molles , faciles

&

liances , ou rudes, ftrmes

&

heur–

tées , des voyelles fonores , des voyelfes muettes , des

fons g raves , des fo ns aigm ,

&

un

mélao~e

de ces

fons pi us lenes o-U plus rapides fur tdle oll for telle

cadence, forment des mots qui , en exprimant Jcur

objet

a

l'oreillc, en imitent

Je

bru it ou

le

mouvement,

ou !'un

&

l'autre

a

la fois , comme en latín:

boatus,

u!ulatus, f rag1r, f rendere , fremitus;

en ltal ien,

rimbom–

bare, tremare;

en

fra n~ois

,

hurlemrnt, .gazouiller, mugir,

C'elt avec ces termes imitatifs, qm: l'écri vaio for–

me une fuccdlion de fons qui , par une rdfemblan:

ce phyfique, imitent l'objet qu'ils cxpriment:

'

01/i ínter fa/e 111ag11a

'llÍ

bracbia 11/lunt

In numerum•

••••

Squpire

,

étmd

les bras, f erme l'ail

&

s'endorJ.

Les

exemple~

de cette expreltion

imitative font

f:\~

res, méme dans les

lang ue~

les plus poeriques. On a

mi lle fois cicé une cencaine de vers L atins o u Grecs,

qui par

le

fo n

&

le

mouvemcnc, rdlcmbknt

a

ce

q u'ils exprimcnt. Mais plut au cid que nocre .laogue

n'etit que cet av antage

a

cnvier

a

cc1les d'Homrn:

&

de V irgik

!

U ne

analogie

pJus

fréqu~nte

dans les poetes anciens

&

dan• nos bons poeccs modcrnes, eíl: cdle du íl:yk

qui pei ne , non pas

le

bru 1t

&

Je mouvemenc, mais

le caraé1:crc

idéal ou fcnlible de fo n objet. Cecee

ana–

l~gie

coofiíle non. feulement dans

l'harmonie , mais

fur-tout dans le colorís . Alors

le

íl:yle n'eft pas l'écho,

mais l'image de la oaturc. ll ell: doux

&

lent élaos la

plaiote ,

impétueux dans la colere, rompu daos

la

fu reur. 11 peine

le

ca lme des paffions comme celui d'une

nuit tranqu ille ; il pcint

le

trouble des efprits co]Timc:

cclui des élémens.

Jlla graves oculos co1Mta attollere

,

rur/ur

Difícit.

l njixum

Jlndet

/ ub peélore v11/rz11!.

<fer fa/e allol!em

;

cubiloque i11nixa

lrna~·it;

'J'er revoluta toro

cft.

Omlifi¡ue crrantibus a/Jo

f?<t!afzvil c111!0 !ucem

,

ingem11itq111 reperla.

Cette fo rte

d'analogit

fuppofe un rapport naturel ;

&

une écroi te corrcfpondaoce d u fens de la vue avec

celui <le

l'ouie,

&

de l'un

&

l'aucre , avec .

Je

fen s

intime , q ui eíl:

l'orgaoe des paffions. Ce qui eíl: d oux

a

la vue nous eíl: rappd lé par des fons d oux

~

l'oreil–

le ,

&

ce qu i efl:

riant pour !'ame, nous eíl: pei ne

par des couleu rs douccs aux yeux. 11 en eíl: de mc–

me de tous les caraé\-crcs des objets fr ofibles; le tour ,

le nombre , l'harrnon ie ,

le

colorís du fiyle peut en ap–

prochcr plus ou moins ; mais cecee refü:mblance dl:

vague,

&

par-la peuc-etre plus au gré de !'ame q u'uoe

im itacion fide lle ; car elle lu i lailfe plus de liberté de

fe

peind re

a

elle-meme ce que

l'cxprelflon lui rap–

pelle: exercice doux

&

fac ile qu'clle

.fe

plait

a

fe

dooner.

L'a111tlogie

d'habitude eft celle que des impreffions

répécées on c établ ie entre les fignes de nos idée$,

&

nos idées elles-memes.

C'eíl:, comme nous l'avons clit, la premiere regle

de \'are

~-e parle~

&

d'écrire , q ue l'cxprd!ion réponde

a

la penké.. M a1s obftrvons que cctte lia1fon qui

le